Idrissa Gueye buteur avec Paris contre Manchester City en Ligue des champions, le 28 septembre 2021 au Parc des Princes

Le joueur sénégalais du PSG, Idrissa Gueye, a créé la polémique en refusant de porter un maillot contre l'homophobie.

afp.com/FRANCK FIFE

Le PSG, comble pour une équipe de football, est accusé de botter en touche concernant la polémique qui entoure Idrissa Gana Gueye. Le milieu de terrain sénégalais s'est fait remarquer dernièrement en s'abstenant de prendre part à un match contre le MHSC à Montpellier parce qu'il ne voulait pas porter le maillot affichant les couleurs du drapeau LGBT, créé à l'occasion de la Journée de lutte contre l'homophobie. Son geste est d'autant moins passé inaperçu que le joueur avait déjà refusé l'an passé de participer à une opération de lutte contre l'homophobie, en avançant pour se justifier un motif médical que son entraîneur avait décrit comme fallacieux. Son comportement doit-il faire l'objet d'une sanction disciplinaire ?

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Il pourrait sembler évident de répondre par l'affirmative, puisque l'attitude de Gueye entre clairement en contradiction avec les valeurs prônées par la Fédération française de football. Pourtant, des voix se sont élevées contre, comme celles du Collectif Ultras Paris sur Twitter ou de Patrick Awondo dans Le Monde. Le groupe de supporters et le sociologue dénoncent une indignation à géométrie variable motivée par le racisme : là où le premier affirme que "d'autres joueurs professionnels pour des faits similaires n'avaient pas subi le même traitement médiatique et politique", l'anthropologue relève que "l'homophobie n'est pas l'apanage des Africains", que "la ville de New York totalise parfois à elle seule plus de meurtres homophobes que le Sénégal, le Cameroun et le Gabon réunis", et que par conséquent le traitement réservé à Gueye trahit "un 'deux poids, deux mesures' insupportable".

Le danger d'un tel raisonnement est double. D'abord, parce que l'instrumentalisation des luttes progressistes par des politiques de droite ou d'extrême droite qui n'ont d'ordinaire que faire des droits des minorités (l'hypocrisie de Valérie Pécresse fustigeant Gueye alors qu'elle-même a défilé avec la Manif pour tous a d'ailleurs été soulignée) est un invariant, et qu'ainsi, si les combats LGBT devaient être modulés en fonction de ce paramètre, ils n'en finiraient pas de s'abîmer dans une autocensure nuisible aux victimes. Ensuite, parce que cette logique de concurrence des luttes fait peser une pression insupportable sur ces dernières, implicitement sommées de faire passer leur santé et leur sécurité au second plan pour ne pas risquer de causer du tort à leur agresseur en raison de son origine. La réitération du même dilemme fait signe vers une tension interne au militantisme intersectionnel : pourquoi ce dernier, soucieux de rendre visibles des discriminations souvent ignorées en raison de leur caractère hybride (parce qu'elles se cristallisent au croisement de plusieurs faisceaux de domination), en arrive-t-il régulièrement à sacrifier une cause sur l'autel d'une autre? Et pourquoi les LGBT et les femmes victimes d'agressions sexuelles sont-ils systématiquement les grands perdants de ce calcul ?

"Deux poids, deux mesures"

L'argumentaire de Patrick Awondo, qui a le mérite de replacer cette séquence dans le cadre général de l'histoire de l'homophobie au Sénégal, est symptomatique de cette contradiction interne qui n'en finit pas de se rejouer. Faire valoir qu'en raison de la stratégie des conservateurs sénégalais (faire de l'homosexualité un mode de vie que l'Occident cherche à importer en Afrique pour continuer la colonisation par d'autres moyens) sanctionner le joueur risquerait d'alimenter cette rhétorique et "n'enverrait pas un signal positif, tout comme l'acte de Gana Gueye", c'est faire injustement porter à la lutte contre l'homophobie une part de responsabilité dans l'homophobie au Sénégal, et donc inverser les rôles tout en mettant acte homophobe et refus de l'acte homophobe sur le même plan.

Ajouter que la cause LGBT avance au Cameroun, et en conclure qu'"il faut donner plus de visibilité aux progrès et moins aux paroles homophobes", c'est créer une fausse alternative qui, une fois de plus, laisse les homophobes dicter à ceux qui les combattent la marche à suivre. En omettant que si un gouvernement homophobe saura utiliser tout, dénonciation comme silence, pour continuer à discriminer les LGBT, la minimisation du geste de Gueye aura, elle, indéniablement un effet délétère sur un sport où il est déjà difficile de faire son coming out, et potentiellement sur des milliers de fans pour qui le joueur est un modèle. On ne lutte pas contre le "deux poids, deux mesures" en demandant à la lutte contre l'homophobie de faire une exception.

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