billetLMPT avec force contre les LGBT, mais n'assume toujours pas l'homophobie

Par Nicolas Scheffer le 20/10/2022
Ludovine de la Rochère, présidente de la Manif pour tous

Après dix ans de lutte rétrograde contre toute ouverture de droit pour les personnes LGBTQI+, l'inénarrable présidente de La Manif pour tous (LMPT), Ludovine de la Rochère, continue de jurer que son mouvement n'a jamais, au grand jamais, favorisé l'homophobie. Une pirouette délicate, à ne pas reproduire chez soi…

Qui a dit que La Manif pour tous (LMPT) n'avait pas d'humour ? Dix ans après l'échec de sa bataille acharnée contre le mariage et l'adoption pour tous, Ludovine de la Rochère, présidente du mouvement réactionnaire, reprend la plume ce mardi 18 octobre dans La Croix pour répondre à une autre tribune, parue dans le même quotidien, qui appelait LMPT à "regarder ce passé qui paraît loin mais qui ne l’est pas tant que ça", et en particulier à considérer "la violence symbolique infligée par la mobilisation à ces nombreux enfants embarqués par leurs parents, sans respect de leur intégrité personnelle, dans la lutte contre le mariage des couples de même sexe". Dans un texte digne de "la guerre c'est la paix, la liberté c'est l'esclavage, l'ignorance c'est la force", l'égérie belge des opposants à la loi Taubira rétorque que son mouvement n'a jamais favorisé l'homophobie. Et si, tout au long des débats qui ont entouré l'avènement du mariage pour tous, SOS homophobie a compté une agression homophobe tous les deux jours, c'est par le mystère de la multiplication des pains ?

À lire aussi : "Aujourd'hui encore, je me sens sale" : je suis gay, et mes parents m'ont emmené à la Manif Pour Tous

La nature profonde du mouvement anti-mariage pour tous avait pourtant été explicitée par nombre de ses membres. Comme par le sénateur Christophe Béchu, aujourd'hui ministre de l'Écologie, qui avait dressé un parallèle entre le mariage des homos et l'inceste. "Comment, demain, refusera-t-on à un frère et une sœur qui s'aiment la possibilité de se marier, quand on aura déjà fait tomber le tabou du mariage homosexuel ?", demandait-il au Sénat en 2013. Ou par sa collègue du gouvernement, Caroline Cayeux, qui déclarait au Sénat : "L'exigence du mariage homosexuel, et l’adoption des enfants qui va avec, n’est pas simplement un dessein qui va contre la nature. C’est plus grave." Leur camarade Gérald Darmanin, alors député, promettait quant à lui en juin 2013 : "Si je suis maire de Tourcoing, je ne célébrerai pas personnellement de mariages entre deux hommes et deux femmes". Une hostilité constante de la droite réactionnaire à toute ouverture de droits pour les personnes LGBTQI+, déjà incarnée en 1999 par Christine Boutin dans sa croisade contre le Pacs, et qu'on avait retrouvée en 2004 lors du mariage symbolique de deux hommes par Noël Mamère dans sa mairie de Bègles, où des opposants avaient brandi des pancartes : "Hier le Pacs, aujourd'hui le mariage et l'adoption, demain l'inceste et la pédophilie."

À lire aussi : De Lyon à la Vendée, dur pour les LGBTQI+ de militer dans des bastions de la Manif pour tous

LMPT, fer de lance contre l'homophobie ?

"En ce qui concerne les participants aux manifestations, ils n’ont pas cessé d’entendre les porte-parole du mouvement condamner vigoureusement toute forme d’homophobie", assène pourtant Ludovine, osant même : "Et nous avons constaté que ce message a bien davantage porté que toutes les communications faites jusque-là par les pouvoirs publics". Bien sûr, et Nadine Morano a plus fait contre le racisme avec sa phrase sur son "amie noire" que toutes les asso antiracistes réunies… Le procédé est pratique : il suffirait donc à n'importe quel mouvement raciste de défiler en clamant son antiracisme, ou à un mouvement masculiniste de lutter contre les droits des femmes tout en chantant son féminisme, pour ripoliner la nature de ces luttes rétrogrades.

D'ailleurs, à quel moment LMPT, ou sa présidente, ont-ils condamné vigoureusement une forme quelconque d'homophobie ? Les a-t-on entendus récemment pour dénoncer l'attaque meurtrière perpétrée par un jeune homme d'extrême droite devant un bar gay de Bratislava ? Qu'ont-ils dit cet été du meurtre d'un jeune homme à la Pride de Münster ? Ludovine s'est-elle émue lorsque, plus près de nous, en Île-de-France, il y a quinze jours, une mère a été accusée d'avoir tenté d'empoisonner son fils parce qu'elle le pensait gay ? Pourquoi n'a-t-on pas entendu LMPT quand Eddy de Pretto a été la cible d'un cyberharcèlement massif pour avoir chanté dans une église ? Non, La Manif pour tous se roule par terre pour des sujets autrement plus importants, que madame La Rochère résume dans La Croix : "Aujourd’hui, notre droit ne dit plus époux et épouse, mais seulement époux ; il ne dit plus père et mère, mais seulement parent. Nombre d’écoles utilisent les termes 'parent 1' et 'parent 2' dans leurs formulaires et célèbrent 'la Fête des gens qu’on aime' à la place de la Fête des mères et de la Fête des pères." Bigre.

Oui, un homo peut être homophobe

Deuxième argument brandi par la présidente de LMPT dans son texte promettant "un bilan" du mouvement qui "fêtera cette année son dixième anniversaire" : "Nombre de personnes homosexuelles se sont opposées, y compris en manifestant, au projet de loi Taubira." En effet, c'est un fait fort bien documenté, chère Ludovine : l'homosexualité n'immunise pas nécessairement contre l'homophobie. Un militant de La Manif pour tous, qui avait dégradé une plaque rendant hommage à Paris aux derniers condamnés à mort pour homosexualité, l'assumait d'ailleurs tranquillement à son procès : "Je revendique le fait d’être homosexuel et homophobe."

Bref, sortons Le Petit Robert pour la grande Ludo. À l'occurence "homophobie", on peut lire : "Attitude d'hostilité, de discrimination envers les personnes homosexuelles, l'homosexualité". Comme exemple, le dictionnaire ne prend pas "La Manif pour tous est homophobe", mais il aurait pu. Prenons une autre occurence du dico, au hasard, "mariage" : "Union légitime de deux personnes dans les conditions prévue par la loi." Quant à "discrimination" : "Traitement inégalitaire et différent appliqué à certaines personnes." C'est donc clair et net : considérer que l'union d'un couple hétérosexuel est plus légitime que celle d'un couple homosexuel est, par essence, homophobe.

À lire aussi : "Lobby LGBT" : les ressorts de cette arnaque inventée par l'extrême droite

Crédit photo : Lionel BONAVENTURE / AFP