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« Pour les jeunes, le sida, c’est une maladie de vieux »

Pour Sandrine Fournier, directrice du service des programmes France de Sidaction, l’une des clés de la sensibilisation des 15-24 ans réside dans la mise en place de programmes mieux adaptés à l’école.

Propos recueillis par 

Publié le 01 décembre 2019 à 06h00, modifié le 01 décembre 2019 à 07h33

Temps de Lecture 4 min.

Le nombre ne baisse plus depuis plusieurs années. Selon les derniers chiffres de l’agence Santé publique France, dévoilés au mois d’octobre, 6 155 personnes ont été diagnostiquées séropositives dans le pays en 2018 ; soit entre quinze et vingt chaque jour. Le nombre de nouvelles infections chez les 15-24 ans a, lui, bondi de 24 % depuis 2007, d’après le Sidaction. Une évolution inquiétante qui s’accompagne d’une autre donnée préoccupante : 23 % des jeunes s’estiment aujourd’hui mal informés sur le VIH-sida, selon un sondage* dévoilé en avril par l’association. Il s’agit du plus haut niveau atteint depuis dix ans.

Un manque de connaissances qui s’explique, entre autres, par une présence moins importante du virus dans le paysage médiatique, affirme Sandrine Fournier, directrice du service des programmes France de Sidaction.

Dans votre étude réalisée en début d’année, vous constatez un manque d’information sur le VIH-sida chez les 15-24 ans. Est-ce inquiétant ?

De prime abord, quand on regarde ces chiffres, on pourrait se dire que, finalement, moins d’un quart des jeunes qui se disent « mal informés », ce n’est pas dramatique. Mais le plus inquiétant réside dans les réponses, souvent erronées, des quelque trois quarts de jeunes qui se déclarent « bien informés ». Par exemple, seule la moitié sait qu’un séropositif sous traitement efficace ne transmet pas le virus.

Les jeunes aujourd’hui sont-ils réellement moins bien informés que les générations précédentes au même âge ?

C’est certain. Une étude que nous avions réalisée, en 2010, avec l’Observatoire régional de santé d’Ile-de-France sur toute la région, montrait déjà un très net recul de leur niveau d’information sur le VIH. Avec l’arrivée des traitements antirétroviraux, le virus est moins présent dans le paysage médiatique, depuis quelques années.

Il y a vingt ou trente ans, quand les gens entraient en sexualité, le VIH était un enjeu majeur : c’était une question de vie ou de mort. L’urgence n’étant pas la même, naturellement la perception que l’on a du virus et de ses risques évolue. On peut se réjouir qu’aujourd’hui le VIH ne soit plus directement associé à la mort, mais cela a un impact direct sur l’intérêt que l’on y porte. Pour les jeunes, le sida, c’est une maladie de vieux, donc ils ne se sentent pas vraiment concernés.

Le diagnostic de séropositivité s’apparente à une annonce de mort sociale

Mais leur vision de la maladie est très paradoxale. Elle est banalisée à certains égards, reléguée au rang de pathologie chronique. Dans le même temps, les médecins avec lesquels nous discutons au Sidaction le disent tous : le diagnostic de séropositivité s’apparente à une annonce de mort sociale. Doit-on dire que l’on est porteur ? Comment le dire ? Comment envisager de fonder une famille ? Les représentations sociales n’ont pas progressé d’un iota : beaucoup de séropositifs vivent encore aujourd’hui dans un isolement total.

N’y a-t-il pas des dispositifs mis en place pour sensibiliser les 15-24 ans au VIH ?

Les jeunes entendent peu parler du sida, notamment à l’école. Les séances d’éducation sexuelle sont obligatoires en théorie, mais dans la pratique leur mise en place est très inégale. Ces séances dépendent in fine du bon vouloir du chef d’établissement, qui subit parfois les levées de boucliers réactionnaires de comités de parents d’élèves.

Ce n’est pas avec son professeur que l’on est le plus à l’aise pour poser des questions

L’enseignant n’est d’ailleurs pas nécessairement la personne la mieux placée pour conduire un échange sur une thématique qui relève de l’intimité. Ce n’est pas avec son professeur que l’on est le plus à l’aise pour poser des questions, parfois très pratiques. Et lorsque ces sessions sont réalisées, elles abordent rarement le cas des sexualités minoritaires, ce qui est un vrai problème : les jeunes gays sont les plus exposés au VIH.

Enfin, un des soucis majeurs, de mon point de vue, c’est aussi qu’on ne démarre pas ces sessions suffisamment tôt. En France, l’âge moyen du premier rapport est 17 ans, or, c’est en amont qu’il faut avoir développé les compétences nécessaires pour savoir se protéger, prendre soin de soi et, dans certains cas, dire non…

Longtemps, les campagnes de prévention à destination des jeunes étaient axées sur le port du préservatif. Sur quels éléments doivent-elles mettre l’accent aujourd’hui ?

Avant, il y avait un seul outil pour limiter les risques de transmission : le préservatif. Ce n’était pas très compliqué de communiquer là-dessus. Désormais, il y a une palette de moyens, mais le VIH n’intéresse pas beaucoup les 15-24 ans. Les nouvelles contaminations concernent pourtant plus de 700 jeunes chaque année et les cas d’infections sexuellement transmissibles (IST) ont aussi triplé dans cette classe d’âge, tous genres et orientations sexuelles confondus. Or, celles-ci n’ont pas forcément de symptômes, mais nous rendent physiologiquement beaucoup plus vulnérables face au VIH. Il faut donc créer des réflexes, en banalisant le dépistage.

Il est essentiel d’insister sur les bonnes nouvelles

L’un des freins pour se faire tester, c’est la peur. Il est donc essentiel d’insister sur les bonnes nouvelles : si l’on est diagnostiqué tôt et pris en charge rapidement, on a une espérance de vie équivalente à celle de la population générale, en étant en bonne santé et sans trop d’effets secondaires. Et surtout, on ne transmet plus le VIH.

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Les efforts de prévention ne peuvent d’ailleurs pas se limiter aux campagnes nationales. Si l’on veut s’adresser aux jeunes, il faut d’abord cibler les canaux qu’ils utilisent, notamment sur Internet, et créer un espace de dialogue avec un langage adapté et des codes partagés. Cette proximité-là crée de l’intérêt.

Mais quelles que soient les initiatives, si l’on aborde directement la question du VIH, on prend le risque d’avoir une écoute peu attentive. Par conséquent, il faut appréhender la sexualité de manière bien plus large : consentement, contraception, émotion… Il faut amener les jeunes à exprimer ce qui les intéresse et, à partir de cet échange, de ce dialogue, surviendront les questions de prévention.

* Enquête réalisée auprès de 1 002 jeunes de 15-24 ans, suivant la méthode des quotas. Le questionnaire a été soumis en ligne du 20 au 26 février.

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