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LGBTQI+Torture, isolement... : une association dénonce les conditions de détention des LGBTI

Par Marion Chatelin le 17/04/2019
LGBTI

[PREMIUM] EXCLU TÊTU - L’Association pour la prévention de la torture (APT) publie, ce mercredi 17 avril, un guide pour promouvoir la protection efficace des personnes LGBTI privées de liberté. Il met en lumière les conditions de détentions toujours plus délétères pour cette population. TÊTU a pu le consulter en exclusivité et s'est entretenu avec son rédacteur, Jean-Sébastien Blanc. Interview.

"C'est le résultat d'un très long processus." Le point culminant d'un travail titanesque, mené depuis cinq ans par l'Association pour la prévention de la torture, et supervisé par Jean-Sébastien Blanc. Il aura fallu réunir des données parfois difficiles à obtenir, tant la loi du silence est prégnante en prison. Pour cela, l'association basée à Genève, en Suisse, a travaillé en étroite collaboration avec les contrôleurs généraux des lieux de privation de libertés de nombreux pays. Le spectre géographique ne s'est évidemment pas limité à l'Europe. "Du Kirghizistan, à l'Argentine en passant par le Sénégal et le Royaume-Uni, nous avons voulu avoir un aperçu transversal." À ce jour, 71 États criminalisent les relations homosexuelles dans le monde. Une double peine, pour des détenu.e.s emprisonné.e.s à cause de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. 

Avec ce guide, disponible en français le 17 avril, le but affiché est clair : "Fournir des informations générales sur les pratiques et les formes de discrimination profondément ancrées qui visent spécifiquement les personnes LGBTI, et qui favorisent le recours à la torture et d’autres formes de mauvais traitements". Comprendre, d'abord, les situations à risque auxquelles sont confrontées les personnes LGBTI pour tenter, ensuite, de mieux renforcer leur protection. Car les lesbiennes, gays, bi.e.s, et les personnes trans' sont à ce jour les plus exposé.e.s aux violences et aux actes de torture au sein des lieux de privation de libertés. Et personne n'en parle. 

Torture, isolement... : une association dénonce les conditions de détention des LGBTI

 

"Il existe un dénominateur commun dans les violences faites à l'encontre des LGBTI incarcérés : la surexposition à la violence, qu'elle soit verbale, physique ou psychologique."

 

En quoi les personnes LGBTI se trouvent-elles dans une situation de vulnérabilité exacerbée lorsqu’elles sont placées en détention ? 

Il faut tout d'abord définir ce qu'est la vulnérabilité. Ce n'est pas intrinsèque à la personne. Je parlerais plutôt de vulnérabilité situationnelle, dans la mesure où c'est le contexte qui va la créer. À cela s'ajoute la dimension d'intersectionnalité. Cela signifie que la situation va s'aggraver en fonction de différents facteurs : l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, mais aussi l'origine ethnique, l'âge, le handicap etc. Plus je cumule de facteurs, plus je suis vulnérable, en somme. 

On a remarqué que les autorités pénitentiaires négligeaient ou ne prenaient pas en compte les besoins spécifiques des LGBTI et qu'il y avait une invisibilité réelle des violences auxquelles ces personnes étaient soumises. Par ailleurs, on constate que la stigmatisation et les discriminations qu'ils et elles subissent dans le monde extérieur sont forcément amplifiées dans les lieux de privation de liberté. 

Existe-t-il un 'dénominateur commun' dans les violences faites à l'encontre des LGBTI ? 

Nous avons pris le soin de distinguer certaines situations dans le guide. Pour une personne trans' ou intersexe, les manifestations de cette violence seront partiellement différentes par rapport à un homme homosexuel. Mais il existe néanmoins un dénominateur commun : la surexposition à la violence, qu'elle soit verbale, physique ou psychologique. Pourtant, il n'y a que très peu d'études à ce sujet, et on les trouve plutôt dans le monde anglo-saxon. Mais ce que nous avons retiré de ces données recueillies pour le guide, c'est que les LGBTI sont le groupe le plus exposé aux violences de tous types, y compris les violences sexuelles.

Parallèlement, et c'est assez inquiétant, on constate un phénomène important de sous-déclaration des violences. Le taux réel de violences subies devrait donc être encore plus élevé.

Comment expliquez-vous ce phénomène de sous-déclaration ? 

Il y a, dans le milieu carcéral, une sorte de méfiance vis-à-vis des canaux officiels pour déposer une plainte ou exprimer son désarroi. C'est la fameuse 'loi du silence'. Elle s'applique évidemment aux personnes LGBTI. Voilà pourquoi des personnes qui ont fait leur coming-out à l'extérieur vont systématiquement faire leur coming-in entre les murs d'une prison. L'impact est terrible. Par exemple, en 2018 en Suisse, une parlementaire avait déposé un postulat (demande formulée au gouvernement d'étudier l'opportunité de prendre une mesure ou de légiférer dans un domaine particulier, ndlr) pour demander la réalisation d'une enquête sur la situation des personnes LGBTI en détention.

Mais le gouvernement a refusé sous prétexte qu'il n'existait pas suffisamment de dénonciations de violences de la part de cette population. Ainsi, en ne dénonçant pas la violence, on la rend invisible. Mais les gouvernements ont cette tendance à confondre l'invisibilité avec l'inexistence du problème. C'est grave. 

 

"Nous demandons l'interdiction pure et simple de considérer les démonstrations d’affection, l’apparence physique ou toute manifestation d’orientation sexuelle et d’identité de genre comme un comportement passible de sanctions."

 

Selon votre guide, les personnes trans' sont les plus exposées aux violences. Comment l'expliquez-vous ?

Effectivement, les femmes transgenres sont la première cible des violences en prison, et notamment des violences sexuelles. On les place dans des centres de détention en fonction de leur anatomie et non pas en fonction de leur genre. C'est une erreur qui les fait devenir automatiquement des proies pour des détenus qui abusent d'elles.

Tout comme les personnes intersexes, qui font face à des problématiques similaires à celles rencontrées par les personnes trans', les humiliations viennent aussi du personnel pénitentiaire. Les traitements dégradants lors des fouilles corporelles sont monnaie courante.

Notre première recommandation serait évidemment de placer les personnes trans' dans des lieux de détention en conformité avec le genre auquel elles s'identifient. C’est la base. Par ailleurs, la Colombie a mis en place une bonne pratique, que nous encourageons dans notre guide : l'interdiction pure et simple de considérer les démonstrations d’affection, l’apparence physique ou toute manifestation d’orientation sexuelle, ou d’identité de genre comme comportement passible de sanctions. 

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Quid des gays et des lesbiennes ?

S'agissant des lesbiennes, leur situation est assez différente. On ne connaît à ce jour aucun cadre dans lequel elles seraient séparées du reste des détenues dans les prisons. On constate que la violence subie vient souvent du personnel pénitencier. Dans certains pays, notamment ceux où l'homosexualité est un délit, elles sont soumises à des viols correctifs de la part des surveillants pour leur faire comprendre qu'elles doivent 'revenir dans le droit chemin’.

Dans les prisons pour hommes, des valeurs comme la virilité interdisent de facto les manifestations d’affections entre hommes. Sinon c'est le lynchage assuré. 

Pourquoi le placement à l'isolement ne représente pas une solution contre ces violences ?  

Les LGBTI, et notamment les femmes trans', peuvent demander à être placé.e.s en isolement pour être protégé.e.s. On a constaté en réalisant ce guide que cela arrive souvent aux femmes transgenres. Cela leur permet d'avoir quelques jours de répit. 

Du côté des pénitenciers, c'est effectivement la réponse la plus facile pour régler le problème. Du moins, pour prétendre de le faire. Mais il faudrait plutôt s'atteler aux causes ! Nous recommandons d'envisager le placement en liberté surveillée plutôt qu'un placement en prison pour la détention préventive par exemple. Il s'agit de prendre en considération l'orientation sexuelle ou l'identité de genre si on estime que la personne risque de subir des violences ou que les autorités compétentes ne seront pas en mesure de prévenir ces violences. C'est aussi l'une des préconisations de la commission interaméricaine des droits de l'homme. 

Les conditions de détention sont-elles plus difficiles dans certaines régions du monde ? 

C'est difficile de généraliser. Aujourd'hui, 71 États criminalisent les relations entre personnes de même sexe. C'est parfois un crime passible de la peine de mort. Alors bien sûr que, dans ces pays là, la situation est doublement compliquée. Parce que les personnes LGBT sont déjà identifiées par la nature du délit pour lequel elles sont enfermées. Du coup, cela légitime l'impunité pour les violences que ces personnes vont subir à l'intérieur du lieu de détention. Cela donne également un passe-droit aux surveillants qui auraient tendance à user de la violence. Donc le premier constat, c'est que la situation sera forcément plus précaire et périlleuse pour les personnes LGBT dans les pays ou leur orientation sexuelle est criminalisée.

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Et en Europe ? 

La situation est différente. Cela ne signifie pas forcément qu'elle est plus facile. Les pays comme la France ont par exemple un taux de surpopulation carcérale très important. Il y règne une culture de l'enfermement que je qualifie de punitive. Les agents et les surveillants manquent de sensibilisation sur ses questions. Tout cela rend la situation encore très difficile pour les détenu.e.s LGBT et ce sont les échos que nous recevons au niveau local. 

Disons que la situation évolue très lentement. La bonne nouvelle, c'est que des institutions indépendantes, dont le rôle est de contrôler les lieux de privation de liberté, se sont créées un peu partout en Europe. En France, il s'agit du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ce sont les gardiens des droits fondamentaux des personnes détenues. Ces institutions ont été pionnières sur cette thématique. Leur but est d'analyser de manière plus fine la situation des LGBTI.

Des séries comme « Orange Is The New Black » ont porté à l'écran ces histoires, notamment celles des femmes trans'. Une bonne manière de visibiliser le sujet ? 

C'est en tout cas mon avis. Avoir une héroïne trans', qui est d'ailleurs elle-même une icône de la communauté, en personnage récurrent d'Orange Is The New Black, c'est quelque chose qu'on n'aurait pas pu imager il y a quelques années. Néanmoins, il faut être prudent sur les représentations dans la fiction. Ne pas caricaturer.

Je pense tout de même que si l'on reste dans le cercle d'experts, on n'avancera pas. Cette série a permis de faire accéder une très large frange de la population à ces thématiques qui n'étaient que l'apanage des spécialistes. C'est pour moi une évolution très positive car il n'y a qu'en visibilisant qu'on pourra régler ce problème. 

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Crédit photo : Shutterstock.