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« Thérapies de conversion » des homosexuels : que changera la création d’un nouveau délit ?

Une proposition de loi de La République en marche pour interdire spécifiquement ces pratiques destinées à modifier l’orientation sexuelle est examinée en séance publique le 5 octobre.

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Publié le 05 octobre 2021 à 06h00, modifié le 05 octobre 2021 à 10h40

Temps de Lecture 5 min.

La députée La République en marche (LRM) de l’Allier Laurence Vanceunebrock a finalement eu gain de cause : sa proposition de loi visant à créer un délit spécifique interdisant les « thérapies de conversion » (pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne) a été examinée en commission par l’Assemblée nationale, mercredi 29 septembre, et le sera en séance publique, le 5 octobre.

En mai, la ministre déléguée chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, Elisabeth Moreno, avait pourtant écarté l’option de légiférer sur le sujet au motif que « ces pratiques sont strictement interdites dans notre pays » et que donc « les victimes peuvent porter plainte ». Que dit le droit actuel, et quid de ce nouveau délit ?

  • Thérapie de conversion : de quoi s’agit-il ?

Les thérapies de conversion sont un ensemble de pratiques qui ont pour objectif de modifier l’orientation sexuelle ou l’identité sexuelle d’une personne. D’abord nées aux Etats-Unis à la fin des années 1970, elles se sont peu à peu répandues en Europe. Elles visent à « guérir » les personnes homosexuelles, bisexuelles ou lesbiennes en les « convertissant » à l’hétérosexualité. Un expert de l’Organisation des Nations unies (ONU) les considère comme des actes de torture.

Concrètement, elles peuvent se traduire par plusieurs modes d’action :

  • biologique : les adeptes des thérapies de conversion assimilent la diversité sexuelle à une maladie qu’il faudrait soigner en administrant des médicaments, des hormones ou des traitements stéroïdes ;
  • psychothérapeutique : les personnes sont contraintes d’être suivies psychologiquement, afin de leur permettre de comprendre ce qui dans leur passé les a rendues « malades » ;
  • confessionnelle : la « guérison » est prônée par l’abstinence, le célibat et par le suivi de certains préceptes spirituels.

En France, ces thérapies de conversion prennent généralement la forme de groupes de parole, de séminaires ou de confessions, souvent dans un contexte religieux. Les associations Courage France ou Torrents de vie organisent ainsi des séminaires « d’accompagnement ». Les personnes qui subissent ces thérapies peuvent garder de nombreuses séquelles psychologiques et physiques, entrer en dépression ou, dans le pire des cas, se suicider.

  • Existe-t-il une législation en France ?

A l’heure actuelle il n’existe pas de délit de thérapie de conversion dans le code pénal. Cependant, « dire que les thérapies de conversion ne sont pas interdites par le droit français, c’est un raccourci, explique Jimmy Charruau, docteur en droit public, et auteur d’un article sur l’aspect juridique de cette question. Aujourd’hui il existe des moyens juridiques indirects d’interdire ces thérapies ».

Effectivement, le droit français contient plusieurs dispositions du code pénal qui permettent à des victimes de thérapie de conversion de saisir la loi pour différents motifs : le harcèlement sexuel ou moral, les violences physiques et psychologiques, les agressions sexuelles, les viols, la torture ou encore la séquestration.

Vanter des remèdes illusoires concernant l’homosexualité peut répondre à la qualification de pratiques commerciales trompeuses (selon le code de la consommation) ou d’escroquerie (qui relève du code pénal). Une personne qui, sans être titulaire d’un diplôme de médecine, prétendrait avoir la capacité de « guérir » quelqu’un de son homosexualité peut faire l’objet de poursuites pour exercice illégal de professions de santé (art. L. 4161-1 du code de la santé publique).

Ces pratiques sont aussi encadrées par la loi sur les dérives sectaires et le charlatanisme. Elles peuvent être incriminées du délit d’abus de faiblesse.

Les parents, s’ils contraignent ou orientent leurs enfants à suivre ces thérapies, peuvent aussi être considérés comme complices. Il peut également leur être reproché une faute d’imprudence ou une mise en péril de mineurs.

  • Pourquoi créer un délit spécifique ?

« Tant qu’on n’aura pas de fondement pénal spécifique, il y aura une plus grande liberté pour les personnes qui réalisent ce genre de pratiques », déplore Etienne Deshoulières, avocat au barreau de Paris auprès de nombreuses associations LGBTQ+, en rappelant que les victimes ignorent souvent tous ces recours possibles.

La proposition de loi de Laurence Vancenbroek prévoit l’instauration d’un délit spécifique interdisant les thérapies de conversion et les punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Une peine alourdie pour les mineurs à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. La députée de l’Allier explique que « les victimes ont une volonté d’être reconnues comme de vraies victimes de thérapies de conversion, pas d’autres faits, comme c’est le cas actuellement ».

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Pour Emmanuel Daoud, avocat pénaliste, « cette proposition de loi permet le développement d’un régime spécifique, vecteur de rapidité qui faciliterait la prise en charge des victimes ». Elle permettrait de réaliser des statistiques et de rendre plus visible cette problématique des thérapies de conversion.

Jimmy Charruau estime aussi que ce texte crée « un référent juridique unique beaucoup plus clair que de fonctionner par le biais d’autres incriminations. C’est un marqueur » qui « fixe un interdit social », même s’il reconnaît qu’il n’y a « pas d’apport juridique substantiel ».

  • Quelles sont les limites de cette proposition de loi ?

Il existe un « réel risque d’ineffectivité de ce nouveau délit spécifique », avertit Emmanuel Daoud. En effet, les thérapies de conversion sont souvent dissimulées, insidieuses et très discrètes. Elles utilisent également dans leur discours de nombreux euphémismes, qui ont pour objectif de ne pas révéler leurs réelles intentions et de les dissimuler aux yeux du grand public.

S’ajoute à cela le fait que les personnes qui y ont recours subissent souvent la pression du cercle familial ou sont elles-mêmes « encore très ancrées dans la discrimination, parce qu’elles se perçoivent elles-mêmes à travers des pensées hétéronormatives », étaye Etienne Deshoulières. Pour toutes ces raisons, même la création d’un délit spécifique ne supprimerait pas les difficultés à définir et apporter la preuve de l’existence de ces thérapies de conversion devant la justice.

  • Quels pays ont interdit les thérapies de conversion ?

Plusieurs pays ont déjà légiféré, notamment l’Equateur, le Brésil et Porto Rico. Le Parlement européen a voté, en 2018, un texte appelant les Etats membres à interdire ces pratiques. Seuls certains pays l’ont fait, comme Malte, certaines régions d’Espagne, et l’Allemagne, qui l’a interdit pour les mineurs. Une loi est en cours d’examen en Finlande.

Le 11 mai, dans son discours annuel, la reine Elizabeth II a annoncé que les thérapies de conversion allaient être désormais interdites en Angleterre et au pays de Galles.

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