LGBTI - Ça ne passe pas. Ce dimanche 16 août, le gouvernement est monté au créneau à la suite de la publication, la veille, d’un tweet jugé homophobe du site de paris sportifs Winamax. “On prend l’Europe, on l’encule à deux”, est-il écrit en légende d’un montage photo où la tête des rappeurs de PNL (dont les paroles ont été reprises dans ce tweet) ont été remplacées par les logos du PSG et de l’OL.
“Sérieusement Winamax, vous vous croyez où? Votre tweet est à vomir. Twitter, ça ne vous dérange pas de laisser passer ce genre de messages”, s’est insurgée la ministre des Sports, Roxana Maracineanu. “Les propos haineux et homophobes doivent être bannis des réseaux sociaux”, a condamné Elisabeth Moreno, la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes.
De son côté, la nouvelle ministre de la Citoyenneté Marlène Schiappa ajoute: “On peut, bien sûr, se contenter de répéter ce qu’on a toujours entendu. On peut aussi réfléchir à la portée de nos propos publics.”
Une insulte “homophobe et sexiste”
Ce qui est reproché ici, c’est l’emploi du mot “enculé”. “C’est homophobe parce qu’on cherche à rabaisser l’autre en l’associant à l’homosexualité, et en le renvoyant à une supposée passivité. L’enculé porte socialement les marques de l’infériorité, qui sont des caractéristiques socialement associées aux femmes. C’est en ce sens une insulte à la fois homophobe et sexiste”, nous expliquait en 2019 Veronica Noseda, secrétaire générale des Dégommeuses, une association qui promeut l’égalité dans le football.
Pour l’enseignante en philosophie Olivia Gazalé, interrogée par 20 Minutes, “celui qui profère ce type de phrases parle de la puissance de son membre et de sa capacité à anéantir l’autre”.
L’autrice du Mythe de la virilité estime que les hommes “sont encore trop souvent conditionnés par les stéréotypes sexués qui leur imposent de faire sans cesse la démonstration de leur puissance, de leur performance, de leur combativité, de leur courage… et de leur hétérosexualité.”
Un rôle joué par le rappeur
Comme l’ont fait remarquer plusieurs des commentaires sous le tweet, celui-ci était une référence aux paroles du morceau “Celsius” de PNL. Sorti au mois d’avril 2019, il commençait en ces termes: “On prend l’rap, on l’encule à deux”. Cela a-t-il valu au groupe les mêmes accusations dans la sphère politique? Non.
Est-ce à dire alors que les deux frères, dont le succès ne se dément pas, bénéficient d’un passe-droit pour dire des choses que l’on reproche à d’autres?
D’après le sociologue Anthony Pecqueux, le milieu du rap jouit parfois de l’usage d’un second degré à géométrie variable. “Dans [ce genre musical], l’auteur est forcément interprète, assure-t-il au site de Radio Télévision Suisse. On s’attend alors à une certaine correspondance entre les deux. Or, il y a un troisième acteur: le nom de scène.”
Il poursuit: “Aucun rappeur ne rappe sous son identité réelle. De fait, il joue un rôle. Il y aura fatalement des allées et venues entre l’auteur et le rôle qu’il joue. Ce qui pose un problème, c’est qu’on veut toujours quelque chose qui soit stable, alors qu’avec le rap, on est dans l’ambivalence.”
Un constat que partage volontiers Thomas Blondeau, journaliste et auteur du livre Hip-hop une histoire française. “Les mecs se lancent des ‘pédés’, des ‘tarlouzes’ ou des ‘pédales’ comme les enfants se jettent des crottes de nez, mais je ne suis pas sûr qu’au fond ce soit de l’homophobie, souffle-t-il à LCI. Plutôt une forme de conformisme social, ‘pédé’ étant une des insultes les plus bêtement répandues dans la société.”
Des textes qui ne datent pas d’hier
Contrairement à PNL et leur morceau “Celsius”, certains rappeurs ont bien été accusés de stigmatiser les homosexuels à plusieurs reprises. En 1998, c’est ce qu’il est reproché au groupe Ideal J qui, dans son titre “Hardcore”, trouve que “les méthodes féroces” de la Gestapo sont comparables à “deux pédés qui s’embrassent en plein Paris”.
Une dizaine d’années plus tard, en 2010, c’est au tour de Sexion d’assaut. ”Ça m’a soulé, j’crois qu’il est grand temps que les pédés périssent. Coupe leur pénis, laisse les morts, retrouvés sur le périphérique”, chante Maître Gim’s dans “On t’a humilié”. Peu convaincu par les excuses du groupe, l’association Sos Homophobie était allée jusqu’à demander à ce qu’il ne participe pas aux MTV Europe Music awards.
Mais voilà, au-delà d’une présupposée homophobie, c’est surtout le caractère sexiste de certaines chansons qui revient le plus souvent. L’exemple du titre “Sale Pute” d’Orelsan, qui lui avait valu d’être poursuivi pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les femmes, est parlant. Plusieurs élues, comme Marie-George Buffet du Parti communiste, s’étaient opposées à ce qu’il joue au Printemps de Bourges. D’autres avaient demandé à YouTube de retirer le clip de la plateforme.
Quid des autres genres musicaux?
Ces reproches, le chanteur français Damien Saez en a, lui, été exempt. “J’suis qu’une p’tite pute dans les métros. J’suis qu’une p’tite pute pour les blaireaux. J’suis qu’une p’tite putain de collabo”, chante-t-il pourtant dans son morceau “P’tite pute”, sortie en 2018. Pareil pour Michel Sardou. “J’ai envie de violer des femmes, de les forcer à m’admirer. Envie de boire toutes leurs larmes et de disparaître en fumée”, fredonne ce dernier dans “Les villes de grande solitude”, un titre vieux de 1973.
“Quand j’entends la chanteuse américaine Billie Eilish dire dans sa chanson ‘Wish you were gay’, [en français, “Je voudrais que tu sois gay”] à un garçon qui la rejette pour qu’elle se sente mieux, je ne comprends pas… C’est horrible”, commente la journaliste et militante féministe Éloïse Bouton à la Radio Télévision Suisse. Comme le remarque cette dernière, le milieu du rap n’est pas le seul coupable. ”Je suis heurtée par les injures du rap, mais je trouve la pop plus pernicieuse encore quand elle fait mine d’être cool”, indique-t-elle.
Mépris de classe
Le rap ne bénéficie d’aucun passe-droit. Pire, pour le spécialiste du Hip-hop Olivier Cachin, les idées reçues dont il est victime sont l’illustration d’une fracture sociale. “Le mépris de classe qui entoure le rap est un corollaire du mépris qui frappe les milieux populaires, bien sûr”, concède-t-il dans les colonnes de Slate.
Dans son ouvrage Une histoire du rap en France, le sociologue Karim Hammou est le premier à parler de “condescendance de classe” à l’égard du rap. Alors qu’il est le genre musical le plus écouté sur les plateformes de streaming dans notre pays, les attaques du monde politique à son égard se sont accrues depuis le début des années 2000, note-t-il.
Selon lui, tout aurait basculé en 2003 quand Nicolas Sarkozy a porté plainte contre “les textes antisémites et racistes” du groupe Sniper. Une décision, d’après le chercheur, qui vise à dénoncer “un ennemi intérieur”. Cela “s’appuie sur un syllogisme opérant une assignation racialisante: critiquer la France ou les institutions françaises, ce serait critiquer le peuple français. Critiquer le peuple français, ce serait être raciste”, explique Karim Hammou à la revue Mouvements, en 2018.
“Or la prémisse majeure de ce syllogisme, le plus souvent passée sous silence, est raciste, conclut le spécialiste. Le peuple français serait un groupe ethnique homogène défini par sa blanchité. Cette définition raciste de l’identité nationale, au cœur de l’agenda politique de l’extrême droite, est depuis le milieu des années 2000 présente bien plus largement dans l’imaginaire politique et les débats publics.”
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