Littérature

Lundi poésie : aujourd’hui, «toujours y aura une bière à Merlo»

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Chaque semaine, «Libé» donne à lire l’extrait d’un recueil qui fait l’actualité. Ce lundi, une immersion dans la banlieue pauvre, droguée et pédée de Buenos Aires par Ioshua.
par Florian Bardou
publié le 3 mai 2021 à 9h26

A Buenos Aires, il y a les beaux quartiers du nord-ouest de la capitale appréciés des touristes étrangers. Ce sont Retiro, la Recoleta, Belgrano, Nunez, aux façades inspirées par l’architecture européenne : ils sont pleins de «chetos», de bourges. De l’autre côté du périph, dans le «conurbano», plus on s’éloigne du centre en cercles concentriques, les classes populaires, elles, s’entassent dans des bidonvilles anarchiques, les «villas», qui donnent à ses habitants le surnom de «villeros».

Le poète Ioshua, mort en 2015 à 37 ans, est de ceux-là. Mais de la rue (en terre battue) et de la déshérence, l’Argentin, aussi pêle-mêle pédé, punk, DJ, séropo, dessinateur, tox, a produit une poésie doublement et génialement marginale. Et voilà que nous parvient de ce côté de l’Atlantique, enfin traduit et aux éditions Terrasses, un premier recueil : Los Putos.

Ses textes sont une immersion littérale dans la banlieue pauvre et délabrée de la mégalopole argentine, un voyage en train, aux sièges défoncés, ou en «bondi» (en bus) depuis la gare centrale de Once jusqu’à ses confins occidentaux, Moreno. Et sont habités par un défilé de «wachos», petites frappes en rut et en survêt, des kilos de cocaïne et de beuh, des litres de bière et de sperme, des airs de cumbia, des bites, des culs ou des paires de bras dans lesquels le poète cherche l’amour sur un matelas à même le sol.

Et puis cette ode latente aux mecs («los pibes») de son quartier, désir de tous se les faire, les aimer, comme subversion de la violence machiste. «Les pibes de mon quartier sont beaux. Mais moi je sais qu’il y a encore plus de beauté dans d’autres rues. Dans presque toutes les rues. Même si les pibes de mon quartier sont comme un phare. Non. Moi je pars. Parce que les pibes de mon quartier sont déterminés à pas me laisser partir et moi… j’veux pas.» Voici un autre de ses poèmes :

Once-Moreno

Eh

Faut qu’tu saches que dans mon cœur toujours y

aura un coin de rue pour t’attendre.

Pour de vrai, toujours.

Toujours y aura une rue à Moreno pour t’accompagner toute la nuit.

Toujours y aura un train pour t’emmener danser à

Morón.

Toujours y aura un coin à Castelar pour te prendre

dans mes bras.

Toujours y aura une bière à Merlo

pour te regarder et te regarder pendant que tu la bois.

Ah, mec… cet idiot sait pas comment te rendre heureux…

Mais je te jure que même si j’ai pas un matelas où te baiser,

une table où te recevoir,

une fenêtre à t’ouvrir,

ni une maison où t’inviter à rêver…

J’te jure mec

qu’il y aura toujours un coin de rue

n’importe où… où tu me diras, mon amour

et là, hésite même pas,

là, moi, toujours,

toujours je vais t’attendre.

Ioshua, Los Putos, éditions Terrasses, 287 pages, 13,50 euros.
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