Les productions culturelles populaires ont souvent un rôle non négligeable dans les transformations sociales. Celle qui se joue autour du genre ne fait pas exception. Si l’on en croit le succès de l’émission américaine de télé-réalité « RuPaul’s Drag Race », il semble qu’un tabou est en train de sauter en matière de genre et d’identité.
« RuPaul’s Drag Race » est une compétition de drag-queens lancée à la télévision américaine en 2009, dont les onze saisons sont désormais disponibles en France sur Netflix. Elle est produite et animée par la drag-queen RuPaul, incarnée par RuPaul Charles – une icône de la pop culture, qui a fait en 2016 son entrée dans la liste des cent personnalités les plus influentes du magazine Time. Devenu culte au sein de la communauté LGBT, ce show télévisé est l’occasion, pour les candidates d’évoquer des sujets comme l’homophobie, le coming out ou les thérapies de conversion, permettant ainsi au grand public de prendre conscience de la diversité des expériences des personnes homos, bis et/ou trans.
Dans les années 1980, des victimes ou des criminels
Si « RuPaul’s Drag Race » reste, malgré tout, cantonné à un public restreint, on ne compte plus les séries télé de grande diffusion, anglo-saxonnes en particulier, qui mettent en scène des membres de la communauté LGBT. L’évolution est d’autant plus spectaculaire qu’il n’y a pas si longtemps, rappelle Nelly Quemener, les sexualités sortant du cadre hétéronormatif n’y étaient pas présentes, ou alors de façon disqualifiante. « Dans les séries policières des années 1980, par exemple, les personnages gay ou trans sont soit des victimes, soit des criminels. Quant aux lesbiennes, elles n’existent quasiment pas », détaille cette chercheuse en sciences de l’information et de la communication.
Dès les années 1990, la représentation de l’homosexualité fait son chemin dans les productions américaines. Ellen fait son coming out, Buffy a une meilleure amie lesbienne, et le fils cadet de la famille Fisher, dans Six Feet Under, s’affiche avec un policier afro-américain. Certaines séries se déroulent même exclusivement au sein de la communauté homosexuelle : Queer as Folk (1999 pour la version britannique, 2000 pour le remake américain), et son équivalent féminin, The L Word (2004), qui relate la vie et les amours d’un groupe de femmes lesbiennes ou bisexuelles à Los Angeles.
« Cette série a représenté une sorte de tournant pour la communauté lesbienne, qui n’avait jusque-là que très peu de représentations dans la culture populaire », souligne Nelly Quemener. Au tournant des années 2000, ces représentations de communautés minoritaires continuent toutefois à s’inscrire dans un schéma masculin féminin très binaire. Il faut attendre ces dix dernières années pour voir cette catégorisation s’estomper à son tour dans certaines productions, tel Orange is the New Black. « La série se situe dans le milieu carcéral, détaille la chercheuse. Son personnage central reste une femme blanche, en couple hétéro, bien qu’ayant une histoire d’amour avec l’une des détenues. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’évolue autour d’elle toute une série de personnages lesbiens, bi ou trans, dont certains sont incarnés par des comédiennes venant du milieu queer et identifiées comme telles. Ces séries peuvent autoriser certaines personnes à se construire autrement. »