La revue lesbienne Well Well Well publie son quatrième numéro et Komitid en parle avec celles qui y ont participé

Publié le

Lancée en 2014, la revue lesbienne Well Well Well, au format « mook » (mi-magazine, mi-book), revient avec un quatrième numéro, sorti le 16 mars en librairie. Au sommaire entre autres, une interview fleuve de Roxane Gay, un grand dossier sur la presse lesbienne et des témoignages sur l’identité butch. L’occasion pour Komitid de rencontrer celles qui ont participé à l’élaboration de ce nouveau numéro.

Couverture revue Well Well Well - capture d'écran @Revue_well
Couverture revue Well Well Well - capture d'écran @Revue_well

Lancée en 2014, la revue lesbienne au format « mook » (mi-magazine, mi-book) revient avec un quatrième numéro, sorti le 16 mars en librairie. Et c’est une très bonne nouvelle !

Marie Kirschen, Mélanie Vives, Marie Slavicek et Béatrice Catanese ont accepté de répondre aux questions de Komitid.

Komitid : À quelle nécessité répondait la création de Well Well Well, une revue lesbienne ?

Marie Kirschen : Le projet a débuté en 2013. C’était la période du débat autour de l’ouverture du mariage et de la PMA pour les couples de même sexe. À l’époque, les médias généralistes n’avaient jamais autant parlé de nous… sauf qu’ils donnaient très peu la parole aux premiers concernés, et notamment aux lesbiennes. On débattait de la PMA, de nos droits, de nos corps… Mais sans nous.

Par ailleurs, les médias lesbiens existant venaient tous de mettre la clé sous la porte : Lesbia en 2012, Têtue.com, que je dirigeais, et La Dixième Muse en 2013. Il y avait un vrai vide, un manque dans l’offre journalistique. J’avais plein d’idées d’articles sur la culture lesbienne, mais il n’existait pas vraiment de support qui aurait pu les publier. Je me suis donc dit qu’il fallait créer ce support ! Un média sur la culture lesbienne, écrit et réalisé par des journalistes expertes de ces sujets. C’est donc ce que l’on a fait.

Dans l’édito du premier numéro, la rédaction de Well s’interrogeait sur la manière de s’adresser à toutes les lesbiennes. Avez-vous une réponse à cette interrogation ? Est-il possible de s’adresser aux lesbiennes dans toute leur diversité ?

Mélanie Vives : Ce qui est sûr, c’est que notre démarche est restée inchangée au fil des années ! Dans chaque numéro, en l’espace de 128 pages, on a à cœur de varier au maximum les formats, les thématiques et les époques abordées. Well Well Well a toujours fait la part belle à la culture, que l’on évoque sous de nombreux prismes – cinéma, musique, photo, bande dessinée, roman… –, mais on traite aussi de sujets politiques, sociétaux et internationaux, de sport ou encore d’histoire. Le sommaire de ce numéro 4 est dans cette droite lignée, très éclectique : on passe d’une interview de l’essayiste et écrivaine américaine Roxane Gay à une enquête sur les terres lesbiennes en France, de poèmes sur le désir entre femmes à un éclairage sur la musicienne et militante hongkongaise Denise Ho, de l’histoire de la presse lesbienne à des planches de l’autrice et dessinatrice de BD Mirion Malle, de témoignages de butches au portrait de la journaliste Janet Flanner qui a exercé au XXe siècle… On souhaite que chacune autant que possible y trouve un intérêt, et cela passe forcément par la diversité des sujets qu’on peut y découvrir.

Le terme “visibilité” revient à de nombreuses reprises tout au long du 4ème numéro. Pensez-vous que l’enjeu de la visibilité est aujourd’hui central dans les luttes lesbiennes ?

Marie Slavicek : La visibilité, c’est essentiel ! Pour ne pas dire vital, et je pèse mes mots. Jusqu’à mes 18-19 ans, je ne connaissais que deux lesbiennes : la joueuse de tennis Amélie Mauresmo – d’ailleurs, merci à elle d’avoir fait son coming out – et le personnage de Marie-Jo dans le film « Gazon maudit ». Attention, je ne dis pas que ce sont de mauvais modèles d’identification. Je dis juste que grandir avec seulement deux rôles représentatifs – dont l’un est un personnage de fiction assez cliché – c’est très peu. Ces dernières années, pas mal de femmes super inspirantes ont fait leur coming out : Adèle Haenel, Hoshi, Pomme, Fatima Daas, Léonie Pernet… On trouve aussi de plus en plus de personnages lesbiens ou bis sur nos écrans. C’est vraiment génial, les choses vont dans le bon sens. Pour autant, nos vies, notre histoire et notre culture restent – malgré leur richesse – encore largement sous-représentées, notamment dans les médias généralistes. Une revue comme Well Well Well a donc à cœur de mettre en avant les femmes qui font la fierté de notre communauté. Elles nous disent que nous ne sommes pas seules, et surtout, que les lesbiennes et les bies sont formidables !

« Dans chaque numéro, en l’espace de 128 pages, on a à cœur de varier au maximum les formats, les thématiques et les époques abordées »

A l’heure où beaucoup de personnes de la communauté LGBTI+ choisissent de s’identifier par le terme “queer”, vous utilisez quasi-exclusivement le terme lesbienne, est-ce un choix délibéré ? Si c’est le cas, pourquoi ?

Marie Kirschen : On utilise aussi le terme queer quand c’est pertinent. Well Well Well est sous-titrée “La revue lesbienne” tout simplement car cela correspond à ce que nous voulions faire au moment du lancement du projet, en 2013 : visibiliser les lesbiennes et donner à voir la culture lesbienne.

Dans ce numéro 4 un long dossier est consacré à la presse lesbienne. Selon vous, que reste-t-il aujourd’hui des différentes revues lesbiennes créées au cours de ces cinquante dernières années ?

Marie Kirschen : À partir de la fin des années 1970, il y a eu une explosion de bulletins et de revues lesbiennes. Je pense notamment au Journal des lesbiennes féministes, à Quand les femmes s’aiment, Clit 007, Vlasta et bien sûr Lesbia. Cette histoire est relativement peu connue des plus jeunes, alors que ces revues ont une grande importance dans la constitution d’un mouvement lesbien. C’est pour cela que nous avons voulu en parler. Tous ces médias étaient fait bénévolement, avec très peu de moyens, et n’ont donc jamais tenu très longtemps – à l’exception notable de Lesbia, qui a vécu de 1982 à 2002… Un record de longévité ! Mais ces médias lesbiens ont permis de coucher des idées sur papier, de les faire circuler, de faire se rencontrer des femmes qui ont pu former des groupes… Ils ont donc contribué à faire émerger un mouvement lesbien à part entière.

 

Vous soulignez par ailleurs dans ce dossier la difficulté pour la presse lesbienne de trouver un modèle économique viable. Est-ce encore le cas aujourd’hui ? Si oui, dans quelle mesure ?

Marie Slavicek : Well Well Well est une revue entièrement bénévole. Nous sommes toutes des journalistes, photographes, correctrice et maquettiste professionnelles, mais le travail que nous effectuons pour la revue n’est pas rémunéré. Nous finançons l’impression de chaque numéro avec l’argent récolté grâce aux ventes du numéro précédent. Pour le premier numéro, nous avons fait appel au financement participatif. La raison de ce choix est simple : il reste, à ce jour, très difficile de financer un média lesbien. Traditionnellement, la presse, papier ou en ligne, vit principalement grâce à deux sources de revenus : ceux générés par les lecteurs et lectrices (les ventes au numéro et les abonnements) et ceux qui proviennent de la publicité. De fait, la presse lesbienne concerne un très petit lectorat. En ce qui concerne la publicité, force est de constater que les marques ne sont pas intéressées, elles ne perçoivent pas les femmes homos comme des clientes potentielles qu’elles pourraient courtiser.

Nous avons donc fait le choix de passer par le bénévolat. Cela a deux conséquences. Une première, pour nous : nous sacrifions pas mal de notre temps libre pour fabriquer la revue. Et une seconde, pour vous : comme nous ne pouvons pas travailler à temps plein, la revue sort malheureusement beaucoup moins régulièrement que ce que l’on voudrait. Dans un monde idéal, nous aurions préféré être payées pour notre travail, mais nous avions avant tout à cœur de pallier le manque de visibilité des lesbiennes dans la presse généraliste.

Avec l’émergence de nouvelles technologies, on a pu voir apparaître tout un tas de nouveaux contenus lesbiens (films sur les plateformes de streaming, vidéos sur les réseaux sociaux, en particulier sur TikTok…). Dans ce contexte, la presse papier consacrée aux lesbiennes a-t-elle encore sa place ? A-t-elle une valeur particulière en comparaison des contenus évoqués précédemment ?

Béatrice Catanese : Je dirais qu’elle a même sa place plus que jamais ! Certaines revues papier ont tenu plusieurs années, comme Lesbia, La Dixième Muse, mais elles ont fini par disparaître malheureusement, donc il y avait un relais à prendre. La presse papier n’existe pas en opposition aux médias numériques, mais en complément. L’émergence de nouveaux contenus lesbiens en ligne est une excellente chose. De plus en plus de séries intègrent des personnages lesbiens, avec de moins en moins de clichés, enfin ! Le web apporte l’immédiateté, le foisonnement… Le papier permet de faire une pause, de prendre le temps de se plonger dans des sujets longs, d’avoir entre les mains de belles photos, de belles illustrations. Nous avons choisi un format “mook”, c’est à dire entre magazine et livre, de 128 pages justement pour proposer une belle revue qui offre une multitude de possibilités en termes de contenus : alterner bande dessinée, reportages, portfolios, entretiens fleuves… Et de cette façon aborder les sujets lesbiens sous tous les angles qui nous semblaient pertinents.

Plus d’infos sur la revue Well Well Well sur le site : https://revuewellwellwell.fr