3 questions à la militante trans Clémence Zamora-Cruz sur le documentaire « Indianara »

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« Indianara porte tous les combats minoritaires et le porte sur sa couleur de peau. Son prénom fait référence aux indigènes, et en tant que personne racisée, cela me parle d’empowerment et de combat intersectionnel. »

Image extraite du documentaire « Indianara », réalisé par Aude Chevalier-Beaumel et Marcelo Barbosa - DR

Porte-parole de l’Inter-LGBT, Clémence Zamora-Cruz a fait partie du jury documentaires de la dernière édition du festival Chéries Chéris. Le Grand prix a été attribué au documentaire brésilien Indianara qui suit le parcours d’une militante trans dans le Brésil pré-Bolsonaro. Clémence explique à Komitid pourquoi elle a tant aimé ce film, sorti en salles le 27 novembre.

Komitid : Qu’est-ce qui vous a particulièrement touchée dans Indianara ?

Clémence Zamora-Cruz : En fait, il y a plein de choses qui m’ont particulièrement touchée d’un point de vue personnel, en tant que personne trans, migrante et ex-travailleuse du sexe. Des choses que j’avais enfouies en moi sont remontées à la surface et notamment sur la question de l’articulation entre la lutte pour les droits des personnes LGBT et celle pour la justice sociale, pour la démocratie, qui semble évidente en regardant le film alors que j’ai l’impression que très peu de personnes en sont consciente.

La vision de ces luttes est souvent très centrée sur les personnes LGBT sans voir plus loin alors que le lien direct existe avec la lutte pour les droits humains et la défense de la démocratie. C’est intersectionnel le fait de réclamer des droits pour tout le monde. C’est vraiment ça qui m’a touchée personnellement. D’un point de vue humain, j’ai été très touchée par le charisme d’Indianara et par le point de vue du film qui n’est pas naturaliste comme c’est souvent le cas dans ce genre de documentaire sur les parcours trans. La vision du film est celle de l’empowerment, c’est une vision optimiste des luttes LGBT et des luttes pour les trans et les travailleuses du sexe alors que l’extrême-droite menace durant le tournage d’arriver au pouvoir.

Qu’est-ce que représente pour vous Indianara ?

J’ai été heureuse de découvrir cette personne. Elle incarne de l’espoir parce qu’il faut se rappeler que le Brésil a déjà connu une période de dictature et des persécutions. On peut imaginer qu’Indianara n’a pas été épargnée par cette période noire de l’histoire du Brésil et son parcours est passionnant. Elle est élue, est passé au-delà du traumatisme de la discrimination envers les personnes trans et les travailleuses du sexe par l’armée et la police, elle est toujours là, au rendez-vous, elle fait face. L’image forte c’est de la voir fêter son anniversaire sur les marches de la Mairie, alors qu’autour la répression est présente. Elle apporte de l’espoir.

Sur quels plans les films documentaires, et celui-là particulièrement, peuvent faire avancer le combat des personnes trans et les mentalités ?

Comme je l’ai dit dans le discours de remise du prix à Chéries-Chéris, le documentaire en général permet de se poser un moment, d’être spectateur de la réalité. Cette histoire n’est pas qu’un film, elle s’inscrit dans notre histoire commune en tant que personnes LGBT. De façon plus générale, cela amène les personnes qui ne sont pas sensibilisées aux combats LGBT ou aux combats des personnes trans à réfléchir, à se poser des questions, à changer d’avis, à constater les abus et la fragilité de nos démocraties.

« La mémoire collective est très souvent formatée par les dominants et met de côté les minorités »

On se cache souvent derrière le mot « démocratie » pour dire que tout va bien alors qu’elle n’est pas forcément synonyme de justice sociale. Cela ammène à se poser la question de la précarité en général. Indianara porte tous les combats minoritaires et le porte sur sa couleur de peau. Son prénom fait référence aux indigènes, et en tant que personne racisée, cela me parle d’empowerment et de combat intersectionnel.

C’est un témoignage fort pour les nouvelles générations. La mémoire collective est très souvent formatée par les dominants et met de côté les minorités, on le voit bien avec les situations concrètes de l’histoire : on fêtait Thanksgiving, il y a quelques jours aux États-Unis, mais derrière c’est l’histoire de la colonisation qu’on célèbre. Les Amérindiens, les personnes racisées qui en ont subi les conséquences, nous nous sommes réappropriés cette histoire. C’est la même chose pour les combats LGBT, nous devons toujours nos réapproprier l’histoire par les combats que nous menons. C’est important de rappeler qu’on est acteurs, actrices, de notre histoire commune.