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queer"C'est pas facile tous les jours d'être moi" : rencontre avec le royal Bilal Hassani

Par Youen Tanguy le 09/01/2019
bilal hassani

[PREMIUMA l'occasion de la sortie de son dernier titre "Roi", avec lequel il pourrait représenter la France à l'Eurovision 2019, et après le cyber-harcèlement dont il a été victime en novembre dernier, TÊTU a rencontré le chanteur et youtubeur de 19 ans Bilal Hassani, pour une interview à coeur ouvert.

« Tu sais qu’il est super bien le dictaphone de ton téléphone ? Attends je te montre ! Bonsoiiiiir TÊTU, yeahhhh ! » On ne pouvait rêver mieux comme entrée en matière. Ce petit brin de voix, c’est celui du chanteur et youtubeur Bilal Hassani. Le jeune homme de 19 ans, originaire de la région parisienne où il vit encore avec sa mère, a accepté de nous rencontrer il y a quelques semaines dans les locaux parisiens de son label.

Et celui qui vient d’être présélectionné pour représenter la France à l’Eurovision a la musique dans la peau. Il n’aura d'ailleurs de cesse, tout au long de l’interview, de chantonner ses mots. « Je chante depuis que j’ai deux ans et demi, raconte à TÊTU le jeune homme habillé d’un large t-shirt, d’un pantalon de survet’ et d’une paire de baskets. Ma mère m’a dit que j'avais commencé avant même de parler. »

 

 

"J'ai vécu un rêve avec The Voice"

A 13 ans, il quitte le conservatoire où il apprenait le chant, la danse classique, le théâtre, la guitare et le piano (rien que ça) et entame un parcours scolaire à cheval entre le collège et l’Académie internationale de danse (AID) à Paris. Là-bas, il se forme notamment à l’écriture et à la composition de chansons. Le succès viendra peu de temps après, en 2015, alors qu'il n'a que 14 ans.

Bilal participe alors à la version Kids du télé-crochet The Voice, où il a été inscrit par son ami Nemo Schiffman. Il y interprète la chanson « Rise Like A Phoenix » de Conchita Wurst lors des auditions à l’aveugle et remporte le coeur des trois coachs. « J’ai vécu un rêve, se souvient auprès de TÊTU l'artiste, une paire de larges lunettes dorées vissées sur le nez. Je voulais y aller pour avoir un coach retourné et j’ai eu les trois. » S’il ne passe pas l’épreuve des ‘battles’, Bilal acquiert une nouvelle notoriété. Et remporte au passage des dizaines de milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux.

Un succès immédiat sur YouTube

« Des gens ont commencé à me demander des photos dans la rue, se souvient-il. Ils voulaient savoir ce que je faisais de mes journées, suivre mon actualité… A partir de là, j’ai commencé à alimenter de plus en plus mes réseaux sociaux, à poster pas mal de tweets ou des stories sur Instagram. »

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Avec l’appui (et l’insistance) de plusieurs de ses amis, Bilal lance sa chaîne YouTube en novembre 2016. C’est la consécration. Plus de 60.000 personnes s’y abonnent en un mois seulement. « Je ne cherchais pas à percer ou à faire le buzz, assure le youtubeur aux désormais presque 700.000 abonné.e.s. Je voulais juste être honnête, raconter mes expériences de vie et échanger sans filtre avec ma communauté. » Mais attention, toujours de façon « rigolote » !

Perruques et "Bonsoiiir Pariis"

Crédit photo : Dorothée Murail
Crédit photo : Dorothée Murail

Parmi ses vidéos les plus populaires (elles font en moyenne 500.000 vues, NDLR), on retrouve des morceaux de sa vie, drôles ou plus sombres, comme : « Viré de mon lycée car je suis gay », « Je suis tombé amoureux d’un hétéro », ou « Ma mère répond aux méchants commentaires ». Sa marque de fabrique : débuter toutes ses vidéos par un enjoué « Bonsoiiiiiir Pariiiiis, yeahhhhhhheahheahh » et porter presque systématiquement une perruque, la plus connue étant de couleur verte.

« C’est super naturel pour moi, glisse dans un grand sourire le jeune homme. J’ai toujours été fan de Pocahontas alors, petit, quand je n’avais pas de perruque, j’utilisais des chiffons pour avoir les cheveux longs." Il se laisse tomber sur le dossier du canapé où il est installé et ajoute : "Le fait que je puisse être moi-même à 100%, c’est génial !".

"Ma maman c’est ma vie."

S'il est aussi libre aujourd'hui, c'est surtout grâce à sa mère, chez qui il vit toujours. "Ma maman c’est ma vie, assure avec fierté le jeune homme. C’est elle qui m’a acheté mon premier ordinateur, mon micro et mon clavier. Elle a toujours été derrière moi.

Il parle d'elle avec beaucoup d'émotion. "Quand je voulais mettre des chiffons sur ma tête, je mettais des chiffons sur ma tête. Elle ne m’a jamais donné l’impression que ce que je faisais était différent ou bizarre.Il nous confie d'ailleurs n'avoir jamais fait de réel coming-out à sa mère : "Tout s'est fait de manière naturelle"

Un coming-out touchant

Mais s'il n'a pas eu besoin de parler directement avec sa mère de son orientation sexuelle, Bilal s'est adressé à sa communauté dans une touchante chanson publiée sur Twitter en 2017. "Je voulais surtout être honnête avec ma communauté et... (il réfléchit et éclate de rire). Non, bon... La vraie raison c'est que j’avais certaines abonnées, au féminin, qui me disaient ‘oui je suis trop amoureuse de toi’. Du coup, il fallait que je leur dise que ça allait pas trop être possible..." Mais si les réactions à son coming-out ont été majoritairement très positives, ça n'est pas toujours le cas.

Plainte après un violent cyber-harcèlement

En novembre dernier, le chanteur poste sur Twitter une vidéo où il interprète une version acoustique de « Dja Dja » - par la chanteuse Aya Nakamura. Il porte son habituelle perruque verte et une paire de bottes à talons noire. Il n’en fallait pas plus pour réveiller les haters. Quelques heures après son post, c’est un déferlement de haine : « Fallait pas attaquer le Bataclan, mais celui-ci », « Ils sont jamais là quand on en a besoin les barbus explosif ».

 

« C’est venu un peu d’un coup, glisse-t-il. Je vivais quand même sur un long fleuve paisible, mais en même temps que le nombre de vues sur mes vidéos augmentait, un nouveau regard était en train de naître." Pendant deux jours, il reçoit entre cinq et dix messages de haine par minute, tous réseaux confondus (Instagram, Twitter et YouTube). "J'ai tout coupé et je suis juste parti me coucher, souffle-t-il. J'ai fini par le rallumer quelques jours après et j'ai pris des captures d’écran, pour prendre les choses en main."

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Bilal a porté plainte et veut aujourd'hui que justice soit faite. "Ce qu’ils disent est hors-la-loi, assène le chanteur. Mais comme ça se passe sur les réseaux sociaux, ils se sentent au-dessus de la loi. En plus, internet va trop vite et les applications ne suivent pas." Il est soutenu par deux députés dans cette démarche : Raphaël Gérard (LREM) et Gabriel Serville (NG), qui avaient d'ailleurs interpellé Twitter dans un communiqué publié le jeudi 15 novembre.

Aya Nakamura, la consécration

Crédit photo : Dorothée Murail
Crédit photo : Dorothée Murail

N’en déplaise à ses détracteurs, la chanteuse Aya Nakamura, elle, a adoré cette reprise de son morceau. Et Bilal en a été le premier surpris. « À la base c’était juste un kiff avec des potes parce qu’on adore cette chanson. Une fois enregistré, je trouvais même le résultat trop nul. Je me disais, ‘si Aya elle voit ça, elle va détester !' ». Résultat : le jour-même, la chanteuse partage la vidéo - aux désormais quatre millions de vues - sur son compte Twitter.

« On s’est vu plusieurs fois depuis, confie Bilal. C’est quelqu’un de super, elle me soutient beaucoup. Il lui lance d’ailleurs un petit appel du pied dans cet article : « J’adorerais collaborer avec elle ! » A bon entendeur. Mais avant ça, Bilal se consacre à un tout autre projet : Destination Eurovision.

"Je serais tellement fier de faire l'Eurovision"

Le chanteur a été pré-sélectionné pour représenter la France à la 64e édition du concours. "Je suis l'Eurovision depuis que j'ai 9 ans, je vote, je chante... Je suis obsédé ! Alors le simple fait d’imaginer que je puisse représenter la France, c'est fou. Je serais tellement fier !"

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S'il remporte Destination Eurovision, face aux 17 autres candidats, Bilal Hassani défendra la France à Tel Aviv (Israël) en mai prochain avec sa chanson "Roi". Elle a été co-écrite par Emilie Satt et Jean-Karl Lucas - plus connu sous le nom de Madame Monsieur -, choisis pour représenter la France à l'Eurovision l'an dernier.

"On a écrit le morceau en une nuit, entre 21h et 4h du matin, confie Bilal. C'est une chanson qui traite de l’acceptation de soi, de la différence aussi. Je suis un peu spécial, un petit peu hors-normes, mais pas volontairement. Je suis juste moi-même. C'est un message très important pour moi."

Pour cette chanson aux accents pop et R'n'B, et pour tous les morceaux qui figureront sur son premier opus (à paraître prochainement), le chanteur dit s'être beaucoup inspiré de ses idoles de jeunesse. "Ma mère avait un album rouge et orange qui s’appelle 'Sister Groove Vol 3', se remémore-t-il. Il y avait du Toni Braxton, TLC, Destiny’s Child, Mariah Carey, Whitney Houston dessus, je l'écoutais tout le temps dans la voiture. Cela a beaucoup influencé ce que je veux faire aujourd’hui."

"Je ne veux du mal à personne."

Le premier album du chanteur devrait bientôt voir le jour. "Entre cinq et dix morceaux sont déjà aboutis", nous confie-t-il en se relevant du canapé dans un accès de joie. Une bonne humeur contagieuse qu'il parvient à conserver en toute circonstance, malgré les insultes qu'il reçoit encore tous les jours. Et il le dit lui-même : il ne porte "aucune haine en lui".

"Ç'est pas facile tous les jours d'être Bilal Hassani"

"C’est vrai que c’est difficile de lire tout ça, parce que je ne pensais pas que les gens étaient capables d’aller aussi loin, reconnait le chanteur. Ç'est pas facile tous les jours d'être Bilal Hassani. Mais je ne veux du mal à personne, même à ceux qui ne m'aiment pas et m’insultent tous les jours. Je leur souhaite juste d’être apaisés."

Et de conclure, dans un éclat de rire : "C’est pas cool d’être énervé comme ça, ça doit être dur pour les nerfs".

  • Bilal Hassani participera à la demi-finale de Destination Eurovision diffusée samedi 12 janvier sur France 2. S'il est sélectionné, il pourra concourir lors de la finale le 26 janvier pour, peut-être, représenter la France dans cette compétition.

Crédit photo : Dorothée Murail.