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Chronique «Vu du monde»

En Afrique du Sud, un pas vers la reconnaissance de l’intersexuation

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Les personnes intersexes sont de plus en plus médiatisées dans ce pays, où elles sont encore très nombreuses à subir infanticides et mutilations génitales. Le gouvernement souhaite ajouter sur les papiers d’identité une option non-binaire.
par Patricia Huon, correspondante à Johannesburg
publié le 5 mars 2021 à 2h56

«Garçon ou fille ?» Quand un bébé naît, c’est souvent la première question qui est posée aux parents. Mais la réponse n’est pas toujours binaire, ou évidente. Le gouvernement sud-africain propose donc de rajouter, sur les certificats de naissance et les papiers d’identité, un «troisième sexe», neutre ou indéterminé. Certains pays, comme l’Allemagne, l’Australie ou le Népal, ont déjà passé ce cap.

Cette évolution pourrait concerner les personnes non-binaires. Parmi elles, les personnes intersexes, c’est-à-dire nées avec des caractéristiques génitales, gonadiques ou chromosomiques qui ne correspondent ni à la définition type d’un homme ni à celle d’une femme. Parfois, l’ambiguïté est constatée à la naissance, parfois elle se manifeste à la puberté, certains ne s’en rendent compte qu’une fois adultes.

Mutilations génitales

Bien que les scientifiques ne soient pas d’accord sur les chiffres, des études locales suggèrent que l’Afrique du Sud compterait un nombre relativement important d’individus nés intersexes. Une naissance sur mille, selon les estimations les plus conservatrices. Mais ces enfants ne jouissent d’aucune reconnaissance légale de leur particularité.

Le plus souvent, médecins et parents préfèrent opter pour une intervention chirurgicale sur le nouveau-né, incapable de donner son consentement. Une opération, afin de se conformer au sexe masculin ou féminin, que les organisations de défense des droits des personnes intersexes qualifient de mutilation génitale et dont les conséquences psychologiques et physiques peuvent être lourdes et durables.

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De ces naissances, et du tabou qui les entoure, découlent des drames encore plus sombres. Selon l’hebdomadaire sud-africain Mail and Guardian, entre 2008 et 2010, une organisation de défense des droits LGBTQI a mené des entrevues avec 90 sages-femmes et accoucheuses traditionnelles dans la province rurale du Cap-Nord. Toutes, sauf deux, auraient admis avoir commis au moins un infanticide sur un bébé présentant des organes génitaux indéfinis. L’explication la plus fréquemment donnée est que ces enfants portent malheur à leur famille. Une décennie plus tard, des efforts éducatifs ont été menés, principalement par la société civile, mais personne ne sait combien de bébés intersexes sont, aujourd’hui encore, déclarés «mort-nés».

Caster Semenya «ciblée et humiliée»

Malgré elle, l’athlète Caster Semenya est la porte-voix des discriminations auxquelles les personnes intersexes sont confrontées, bien qu’elle ne se soit jamais publiquement identifiée comme telle. La coureuse, médaillée d’or olympique, qui présente des niveaux de testostérone naturellement élevés, ne peut plus concourir avec les femmes sur sa distance favorite des 800 mètres sans prendre un traitement hormonal. Largement soutenue par le public sud-africain, elle se bat contre cette réglementation devant les tribunaux et a accusé la Fédération internationale d’athlétisme de la cibler injustement et de l’humilier.

L’Afrique du Sud a été le premier pays africain à promulguer des lois pour protéger explicitement les personnes intersexes contre les discriminations. Les adultes sont autorisés, depuis 2003, après un examen médical et psychologique, à modifier le sexe qui leur a été attribué à l’état civil. Toujours selon un choix binaire, cependant. Cela pourrait changer prochainement, si l’Afrique du Sud décide effectivement de reconnaître un «troisième genre».

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