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« Je dis que je veux qu’on m’appelle par un autre prénom, ma mère part direct dans la cuisine »

« Premières fois » : récits de moments charnières autour du passage à l’âge adulte. Cette semaine, Sam, 27 ans, raconte son coming out en tant que « non-binaire », le soir de Noël à sa famille.

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Publié le 09 avril 2022 à 10h00, modifié le 08 septembre 2022 à 10h45

Temps de Lecture 5 min.

La première fois que je parle de ma non-binarité en famille, c’est le soir de Noël, il y a un an. Nous sommes tous les quatre, avec ma mère, ma sœur et mon frère, autour de la table, une coupe de champagne dans la main. Je sors ça comme une bombe, entre les petits fours. On ne se voit tous ensemble qu’à de rares occasions dans l’année, j’ai le sentiment que c’est un peu maintenant ou jamais. Je veux y aller par étapes, et je commence par dire : « Je veux désormais que vous m’appeliez Sam. » Changer de prénom est important dans le processus de mon coming out : avec ce prénom plutôt neutre, aucune image de femme ou d’homme ne vient en tête de prime abord, des genres dans lesquels je ne me reconnais pas.

A mon étonnement, mon frère me demande spontanément si je garde les mêmes pronoms. J’explique qu’il m’arrive d’alterner entre les pronoms féminins et masculins et que j’ai décidé de ne pas en imposer aux gens. Même s’il est vrai que cela me gêne qu’on me genre automatiquement au féminin. Ma mère, elle, se lève et part direct dans la cuisine. C’est très difficile pour elle, elle semble très blessée. D’abord, d’apprendre que cela fait des mois que mon entourage me nomme ainsi, sans que je lui en aie parlé. Mais surtout parce que, alors que nous ne sommes pas très proches les uns des autres dans notre famille, je semble renier l’une des principales choses intimes qu’elle m’ait données : le prénom qu’elle avait choisi pour moi.

Un schéma parfaitement hétérosexuel et cisgenre

J’ai grandi dans la campagne du Pas-de-Calais. Une mère infirmière puis institutrice, un père médecin, et une éducation très rangée, quoique poussant à l’autonomie. J’ai quitté la maison tôt, dès 12 ans, pour partir en sport études. Au lycée, je suis dans un internat très privilégié et cadré, que des Blancs, aucune personne gay ou lesbienne assumée. Evidemment, la question du genre ne se pose même pas. A ce moment-là, je vis dans un schéma parfaitement hétérosexuel et cisgenre.

« On m’a demandé mon prénom et, de manière automatique, sans vraiment réfléchir, j’ai dit Sam »

Ce n’est qu’en rentrant à Lille, après mes études de kiné en Espagne, que je commence à fréquenter des cercles plus militants et à découvrir les réflexions et notions sur le genre, qui résonnent en moi. La première fois, en 2019, que j’ai rencontré des militants d’un groupe de collage féministe, on m’a demandé mon prénom et, de manière automatique, sans vraiment réfléchir, j’ai dit Sam. Cela me semblait couler de source. J’ai trouvé mon prénom, avant de m’interroger sur le pourquoi. Puis j’ai évolué dans un milieu avec beaucoup de personnes transgenres, qui partageaient avec moi une vision moins figée du genre, et les questions ont émergé de plus en plus fort.

Un jour, cela s’est imposé : pourquoi au juste suis-je une femme ? Cela me semblait tellement flou. J’ai demandé à une amie ce qui faisait qu’elle, elle se sentait être une femme. Elle m’a répondu que c’était comme une évidence, elle le savait intrinsèquement. Les cis ne se posent jamais cette question, comme très peu d’hétéros se posent la question de leur orientation sexuelle. Et je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas pour moi. Le seul truc qui me faisait me sentir femme était en réalité l’oppression que je sens par exemple dans la rue. Rien non plus ne me fait me sentir homme. Comme si cela fluctuait, quelque part entre les deux.

Ne plus correspondre aux stéréotypes

A partir de là, j’ai demandé assez rapidement à mes autres amis à Lille de m’appeler Sam, ce qui ne pose pas de problème à la plupart d’entre eux. Je m’offre, depuis, le choix de ne plus correspondre aux stéréotypes de genre, et je me rends compte qu’ils ne m’ont jamais tellement convenu. Mon expression de genre, autrement dit la façon dont je vais me comporter et apparaître dans l’espace public, n’est pas tout le temps la même : j’ai commencé à me couper les cheveux court, pour effacer l’aspect trop féminin, et à avoir une apparence plus androgyne ; et je comprends que je peux me glisser dans toutes les peaux.

« Je ressentais le besoin de ne plus être perçu comme une femme dans mon image publique »

A l’inverse de ce cheminement, mon coming out familial, ce soir de Noël, se fait de manière plus chaotique. Ma sœur fait le mouvement d’aller voir ma mère, retranchée dans la cuisine. Elle fait de la diplomatie à ma place. Puis on apprend que nous sommes cas contact Covid et on doit partir en catastrophe, sans avoir pu tout régler. De là, on ne se parle plus pendant trois mois avec ma mère. Je n’ai plus aucune nouvelle. Entre deux, j’évolue beaucoup. Je prends la décision d’entamer un traitement hormonal, avec de la testostérone. Je ressentais le besoin de ne plus être perçu comme une femme dans mon image publique.

C’est très peu de temps après ma prise de rendez-vous chez un endocrinologue qu’on s’est recontactés avec ma mère. Nous sommes convenus d’un déjeuner à Lille. Contre toute attente, cela fut un moment très doux. Comme si ces trois mois étaient ce qu’il nous fallait pour apaiser la chose. Dans la famille, on est davantage habitué à pas vraiment prendre du temps à deux, et là on discutait tranquillement, ce qui est rare. Elle m’a écouté, ce qui n’arrive presque jamais. Cela a finalement été un moment important dans notre relation.

En parler le plus possible

Depuis, on a repris nos contacts. J’essaie de parler de trucs lambda, cela se passe bien et elle m’appelle Sam. Ce qui est déjà énorme. Elle sait que cela ne change pas foncièrement qui je suis. Elle apprend au fur et à mesure. Elle questionne ma sœur – qui, elle, est très au fait de ces questions de genre – quand elle a des interrogations. Elle m’a demandé si elle pouvait en parler autour d’elle, je lui ai dit de le faire le plus possible, de l’annoncer à ma place à un cercle plus éloigné. Quand on est proche de quelqu’un qui fait un coming out, c’est une façon d’aider, de faire le lien avec l’entourage.

Je lui ai dit aussi de le dire à son petit ami, avec lequel je crains de vivre des relations tendues. Ma mère s’est remise il y a quelque temps avec cet homme, pour qui il était déjà compliqué de composer avec nos élans progressistes – il râle souvent en soufflant : « Avec tes filles extrémistes… » –, donc cela rajoute une difficulté dans l’équation. C’est difficile de me dire que mon coming out va peut-être rendre ma mère malheureuse, car cela risque de mal se passer entre eux. Je ne veux pas porter cette responsabilité.

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Au travail aussi, c’est difficile. Tous mes papiers d’identité sont à mon nom de naissance. Je sais bien que tout le monde me perçoit comme une femme. Cela me pèse et, en même temps, je suis kiné et je ne travaille qu’avec des personnes âgées, qui ont pour la plupart dans les 90 ans : qu’est-ce que je vais aller leur parler du genre ? Je m’inquiète du moment où, avec le traitement hormonal, ma voix va commencer à muer. Cela sera difficile – encore qu’il y a le masque pour le poil au menton qui arrivera aussi.

Recommencer ailleurs

J’envisage de quitter mon travail dans mon cabinet actuel, afin de recommencer ailleurs avec une autre patientèle et d’autres collègues qui ne m’auront pas connu premièrement comme femme. Je n’ai parlé de ma non-binarité avec aucun d’entre eux. Je connais leur point de vue : on a déjà eu un petit patient transgenre, j’ai entendu leurs discussions, parfois très violentes. Mais la vie professionnelle est finalement la véritable dernière chose qui coince.

Dans ma vie personnelle, avec mon mec, cela s’est fait de manière très fluide. Cela a été la première personne à m’appeler Sam. Il me laisse beaucoup d’intimité et d’espace pour cheminer. C’est un garçon pas du tout dans les codes de virilité classiques, très doux et dans la compréhension de l’autre. Quand je lui ai dit que j’allais prendre de la testostérone, il m’a répondu : « Je me doutais que cela allait arriver. » Tout simplement.

Il est vite apparu qu’on s’aimait par-delà le genre. Même si j’ai tenu à le prévenir des risques de stigmatisation qu’on pourrait vivre tous les deux, à se tenir la main dans la rue, lorsque mon apparence se sera masculinisée.

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