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«C’était les mecs qui me regardaient et m’évaluaient, pas les femmes»

«C’était les mecs qui me regardaient et m’évaluaient, pas les femmes»
© Karla Hiraldo Voleau

Début 2020, la photographe franco-dominicaine Karla Hiraldo Voleau s'est glissée dans la peau d'un homme et a arpenté pendant une semaine les rues de Lausanne. La jeune femme de 28 ans en a tiré une série de photos singulière, «A Man in Public Space». Rencontre.

Karla, quels sont les sujets que tu abordes actuellement en tant que photographe?
Je photographie surtout les hommes car je m’intéresse aux masculinités latino et à leur représentation. Je m’intéresse également aux relations amoureuses, à l’intimité au sein des couples et à tout ce qui est du domaine du sentimental à l’ère numérique chez les jeunes.

Qu’est-ce qui t’intrigue, te fascine chez les hommes, en tant que jeune photographe hétéro et féministe?
Après m’être un temps photographiée moi-même, dans une démarche revendicative et féministe, de réappropriation de mon propre corps, je me suis intéressée à l’autre. Et je me suis demandée ce qu’il y aurait de plus féministe que raconter le corps d’une femme en tant que femme, et que cela consisterait peut-être à raconter le corps d’un homme. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pratiquement aucun travail qui avait été fait dans ce domaine, mis à part l’imagerie homo-érotique.

Comment en es-tu venue à te glisser dans la peau d’un homme?
L’idée m’est venue à force de parler avec mes amies de tout ce qui nous arrive dans la rue, ou disons plutôt de tout ce qui ne devrait pas nous arriver dans la rue. Ça m’est souvent arrivé de dire que j’aimerais bien être un mec parfois, afin qu’on me lâche la grappe. Je me sens en sécurité dans les rues de Lausanne, où je vis depuis plusieurs années, mais je viens de Paris, où les femmes sont beaucoup plus épiées, harcelées et menacées dans l’espace public.

Ce qui m’intéressait, c’était de trouver un alter ego, d’imaginer qui j’aurais pu être si j’étais née homme et m’appelais non pas Karla mais Karlos.

Comment s’est opérée ta transformation?
Niveau fringues, j’ai utilisé une partie de ma garde-robe, car je porte à la fois des vêtements féminins et masculins. J’ai complété avec des pièces basiques achetées à l’Armée du Salut et j’ai également emprunté des vêtements aux hommes de mon entourage dont je me suis inspirée pour ce travail: le manteau de mon coloc’, le jean’s de mon père, les chaussettes de mon ex. Ma plus grande peur en créant ce personnage, c’était d’incarner un personnage grossier ou de tomber dans la caricature: le mec racaille, le mec vieux, le mec jeune… Ce qui m’intéressait, c’était de trouver un alter ego, d’imaginer qui j’aurais pu être si j’étais née homme et m’appelais non pas Karla mais Karlos. Pour ce qui est du visage, j’ai travaillé avec une artiste maquilleuse, Amélie Zoé. On a utilisé des prothèses en silicone pour rendre ma mâchoire plus carrée, mes pommettes plus saillantes, et créer une bosse sur mon nez.
 
Comment te sentais-tu quand tu te baladais grimée en homme dans la rue?
Au début, j’avais peur d’être démasquée. J’avais l’impression d’être dans un thriller et de mentir à tout le monde, c’était très désagréable.

Avais-tu l’impression d’être crédible, ou les gens avaient-ils l’air incrédule en te croisant?
Les gens étaient assez intrigués mais pas suffisamment pour s’adresser à moi en me disant madame. Je me souviens qu’à un moment j’étais assise à la terrasse d’un PMU avec autour de moi une clientèle de cinquantenaires qui buvaient des bières à midi. Ils me regardaient vraiment en mode «qu’est-ce qu’il fout là celui-là?» mais je me suis dit que c’était peut-être parce qu’on était en plein milieu de la journée, que j’avais l’air d’avoir 14 ans et que c’était sans doute bizarre pour eux de voir un mec de 14 ans assis seul à une terrasse de PMU! 

© Karla Hiraldo Voleau

Quels regards se posaient sur toi quand tu te baladais?
Ce qui est drôle, c’est que c’était exactement comme je l’avais imaginé. Tous les regards sont en permanence braqués sur les femmes. Les femmes, moi y compris, regardent elles aussi les femmes. Je ne sais pas si c’est parce que je ne paraissais pas assez masculin, mais je n’ai senti aucun regard féminin se poser sur moi. C’était les mecs qui me regardaient et m’évaluaient, pas les femmes.

Ton travail évoque forcément celui de l’artiste drag king Diane Torr. Était-ce une source d’inspiration pour toi?
Non, je ne la connaissais pas encore. Une de mes grandes inspirations est l’installation vidéo Men’s Bathhouse de l’artiste polonaise Katarzyna Kozyra, présentée à la fin des années 1990 à la Biennale de Venise. Elle s’est rendue dans un hammam à Budapest déguisée en homme, avec un faux pénis en silicone, et s’est filmée avec une mini-caméra à l’insu de tous. L’ambiance à l’intérieur est assez homoérotique. Tout le monde est à poil, les mecs se checkent la teub les uns les autres, c’est très sensuel, avec un male gaze omniprésent.

Quelle suite imagines-tu à cette performance?
Je souhaite la poursuivre à Paris, où le harcèlement de rue fait partie du quotidien. Je ne vais évidemment pas m’amuser à harceler des meufs pour voir ce que ça fait. En revanche je vais essayer de voir ce que cela fait d’être complice de ce harcèlement.
 

Après les Journées Photographiques de Bienne 2021, Karla Hiraldo Voleau présente sa série A Man in Public Space durant la Biennale de la photographie Urbi & Orbi à Sedan dans les Ardennes en France jusqu’au 29 août.
En savoir plus: khiraldovoleau.com / Instagram @karla.voleau