Accueil

Société Santé
Ouverture de la PMA : la pénurie de sperme, risque à anticiper
Les échantillons de sperme risquent de manquer à la suite de l'extension de la PMA.

Ouverture de la PMA : la pénurie de sperme, risque à anticiper

Stocks en stop

Par

Publié le

Avec l’arrivée de la PMA pour tous, les couples de lesbiennes et les femmes seules vont naturellement accroître la demande de spermatozoïdes, ressource déjà relativement rare en France où le don est gratuit. D'autant que le changement de loi provoquera une destruction des stocks existants dans les banques de sperme.

La fin d'une longue attente. Les couples de lesbiennes et les femmes seules devraient bientôt pouvoir accéder à la procréation médicalement assistée (PMA) en France. Le projet de loi de bioéthique, présenté le mercredi 24 juillet en Conseil des ministres, prévoit en effet de leur permettre de recourir à une insémination artificielle par don de sperme, une possibilité aujourd'hui réservée aux couples hétérosexuels infertiles. Promise par Emmanuel Macron pendant sa campagne présidentielle, cette réforme devait être présentée avant fin 2018 mais a été plusieurs fois repoussée. Les futures bénéficiaires de l'élargissement de la PMA doivent néanmoins encore patienter avant de profiter de ce droit : l'examen du texte est prévu pour la fin septembre, mais son adoption pourrait prendre plusieurs mois en cas d'opposition du Sénat.

Si la PMA pour tous représente une victoire notamment pour les associations LGBT qui la réclamaient de longue date, ses effets concrets menacent de compliquer l'accès effectif à ce nouveau droit. L'ouverture aux couples de lesbiennes et aux femmes seules fera d'abord décoller la demande de spermatozoïdes, ressource relativement rare en France. "Environ 2.000 femmes (de plus) par an" demanderaient ainsi une insémination artificielle, a évalué la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, sur France Inter. Soit rien de moins qu'un doublement du nombre actuel de demandes annuelles, qui dépasse légèrement les 2.000. Et l'estimation de la ministre est optimiste, estime Nathalie Rives, présidente de la Fédération des Centres d'études et de conservation des œufs et du sperme (Cecos), qui gèrent les dons : "Nous anticipons jusqu'à trois fois plus de demandes de spermatozoïdes qu'à l'heure actuelle", indique-t-elle. Résultat : "Sans un recrutement important de donneurs, nous ne serions pas en mesure de répondre dans les mêmes délais qu'actuellement", s'inquiète cette médecin, qui dirige le centre de gestion de la PMA de l'hôpital de Rouen.

Destruction des stocks de sperme

Un risque d'autant plus sérieux qu'une autre disposition de la réforme va aggraver cette probable pénurie. Car le projet de loi de bioéthique comporte une autre évolution majeure : l'identité de tous les donneurs pourra être divulguée auprès de leurs enfants biologiques si ces derniers en font la demande à partir de leurs 18 ans. Le projet de loi du gouvernement prévoit ainsi l'introduction d'un droit à l'accès aux origines pour les enfants nés d'une PMA : "Tout enfant conçu par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur peut à sa majorité (...) accéder à l’identité de ce tiers donneur", dispose son article L. 2143-2. Ce qui implique qu'au moment où cet article entrera en vigueur, il ne sera plus possible d'utiliser des gamètes pour lesquels le donneur n'aura pas consenti à la divulgation de son identité. A cette date, les anciens stocks de spermatozoïdes devront donc être détruits !

Le gouvernement se veut rassurant quant à cette échéance : "La date à laquelle les anciens dons ne pourront plus être utilisés sera fixée par décret, après la promulgation de la loi. Cela va permettre de s'adapter au stock existant, afin que presqu'aucun gamète existant ne soit détruit", explique le ministère de la Santé auprès de Marianne. Mais l'introduction du droit à l'accès aux origines pourra-t-il attendre aussi longtemps ? En se basant sur le stock de spermatozoïdes répertorié par l'Agence de la biomédecine, et en supposant que les gamètes seraient consommés deux fois plus vite qu'aujourd'hui à la suite de l'extension de la PMA, l'épuisement des réserves d'anciens dons prendrait plus de six ans. "Cela paraît impossible d'attendre aussi longtemps pour appliquer ce nouveau droit", souligne Laurence Brunet, professeure de droit et spécialiste des questions de bioéthique.

Une coquille dans le projet de loi ?

Si le gouvernement laisse encore planer le doute sur la date d'introduction du droit à l'accès aux origines, l'échéance semble pourtant claire dans son projet de loi. Le texte indique ainsi que l'article L. 2143-2 s'appliquera "à une date fixée par décret et au plus tard le premier jour du treizième mois suivant la promulgation de la loi". Ce qui laisserait un délai d'un an avant la destruction du stock de gamètes existants. Pourquoi cette contradiction avec les intentions affichées ? Les éléments en notre possession laissent penser que le ministère aurait commis une erreur au moment d'écrire la dernière version du projet de loi, qui a été modifié après son examen par le Conseil d'Etat. Dans la version avant examen, à laquelle Marianne a eu accès, il est en effet bien indiqué que le nouveau droit s'appliquerait "à compter d’une date fixée par décret". Le ministère ne nous a cependant pas confirmé qu'il s'agissait d'une coquille.

Si elle était avérée, cette dernière aurait en tout cas trompé nombre de professionnels de la PMA : "Tous les collègues avaient compris que nous n'aurions qu'un délai d'un an avant la destruction des anciens stocks", s'étonne ainsi Virginie Rives. Une échéance qui mettrait en grande difficulté les centres médicaux : "Avec un laps de temps aussi court, nous aurions beaucoup de mal à satisfaire les demandes de PMA", avertit la présidente de la fédération des Cecos.

Des donneurs refroidis ?

Outre l'assèchement des stocks, l'ouverture du droit à l'accès aux origines risque d'entraver le recrutement de donneurs, voire de faire plonger leur nombre. Cette évolution leur imposera en effet de donner leur accord à la divulgation de leur identité avant d'entamer la procédure. "Demander de signer ce consentement va les démotiver. Associée à l'extension, cette mesure va complètement déstabiliser le système", s'alarme Nathalie Rives. La présidente de la fédération des Cecos s'appuie sur une étude publiée en 2018, dans laquelle 352 donneurs de sperme français avaient été interrogés sur leur préférence quant au degré d'anonymat. Résultat : 92% d'entre eux se prononçaient pour le maintien de la législation actuelle, sans possibilité que leur identité soit dévoilée. Dans une autre étude, publiée en 2010, 60% des donneurs interrogés indiquaient qu'ils renonceraient à leur démarche si la loi permettait la levée de l'anonymat.

"Nous avions pris position pour que le donneur soit contacté seulement en cas de demande de son enfant biologique, et puisse choisir de refuser à ce moment-là. Cela permettrait de mieux prendre en compte l'évolution de sa situation, qui pourrait le pousser à ne pas vouloir révéler son identité", explique Nathalie Rives. Le Conseil d'Etat avait également recommandé cette option au gouvernement, considérant qu'elle réduirait "le risque de décourager le don", comme le rapporte un article de Mediapart. Mais le ministère en a décidé autrement, afin que "tous les enfants soient sur un pied d'égalité" quant à l'accès aux origines. A l'inquiétude des professionnels de santé, Agnès Buzyn a répondu : "Nous savons que l'accès aux origines va faire un petit peu diminuer les dons. C'est ce qui a été observé dans les autres pays où ça a été permis mais très rapidement, avec des campagnes d'information, les dons sont remontés, par exemple en Angleterre".

La communication comme seule solution

Plusieurs solutions pourraient permettre de parer la pénurie annoncée. Une première piste serait de rémunérer les donneurs, ce qui est pratiqué chez plusieurs voisins européens. Mais cette possibilité a été écartée car elle violerait les "principes éthiques fondamentaux" de la médecine française, comme l'a rappelé Agnès Buzyn. "En France, l’ensemble des dons d’éléments et produits du corps humain est gratuit et placé hors du secteur privé à but lucratif pour se protéger de tout risque de dérive commerciale", souligne ainsi l'étude d'impact réalisée par le gouvernement. Un autre levier aurait été de relever la limite du nombre d'enfants pouvant être issus d'un seul donneur (dix actuellement), afin d'augmenter le nombre d'utilisations de chaque don. Mais il a aussi été écarté par souci évident de "limiter le risque de consanguinité", précise le ministère de la Santé auprès de Marianne.

Ne reste que l'appel au don, à coups de communication, Agnès Buzyn ayant déjà promis des "grandes campagnes de recrutement". Mais leur impact est incertain. À la suite d'une campagne menée par l'Agence de la biomédecine (ABM) en novembre 2014, avec diffusion de publicités dans des journaux et sur Internet, les effets avaient été laborieux : les Cecos avaient accueilli 255 donneurs en 2015, contre 242 l'année précédente. Un frémissement très loin de la hausse qu'il faudra pour conserver à l'avenir le ratio actuel entre offre et demande, et donc des délais d'attente similaires. En se basant sur les chiffres de 2016 de l'ABM et les 2.000 demandes en plus estimées par le gouvernement, quelque 330 donneurs supplémentaires devraient ainsi être recrutés chaque année pour rester à l'équilibre.

"Pas d'équivalent à l'étranger"

Et le gouvernement ne peut en réalité guère s'appuyer sur des exemples étrangers pour rassurer sur les perspectives de recrutement. Au Royaume-Uni, qui autorise la PMA pour les couples de lesbiennes et les femmes seules depuis 1990, les donneurs sont indemnisés à hauteur de 35 livres (39 euros) par visite. Soit, tout de même, un total de 350 livres (390 euros) pour un processus complet, qui s'étale sur trois mois et comprend une dizaine de dons. Même cette carotte ne suffit d'ailleurs pas, les cliniques britanniques devant encore acheter des spermatozoïdes produits dans d'autres pays pour combler la pénurie. Des importations qui représentent une part notable des gamètes utilisés pour les inséminations artificielles, en forte augmentation depuis que les enfants nés d'une PMA peuvent obtenir l'identité de leur donneur, à la suite d'une réforme en 2005. Le Royaume-Uni a ainsi importé près de 40% de ses dons de sperme en 2016, contre seulement 12% onze ans auparavant.

En Belgique, autre pays à avoir étendu la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes seules, cette proportion est encore supérieure : le pays importe 63% du sperme utilisé pour la PMA, d'après une étude publiée en 2014. "La pénurie est massive" face à "une hausse des demandes d’IAD (insémination artificielle avec donneur, ndlr) liées aux demandes de couples de femmes", explique l'avis 126 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) belge, publié en 2017. Dans son étude d'impact, le gouvernement répond en évoquant les demandeuses qui traversent la frontière belge pour avoir recours à une PMA : "Le poids des publics étrangers, s’il n’est pas précisément connu, pèse indéniablement sur les besoins nationaux", selon ce document. Un argument que le CCNE écarte néanmoins : "Une partie de la hausse de la demande d’AMP vient de la demande de femmes d’autres pays (...) mais cela ne suffit pas à expliquer l’ampleur de la pénurie".

En France, importer des gamètes resterait de toute façon interdit dans le cadre de la nouvelle législation. "La situation de la Belgique, comme celle du Royaume-Uni, ne peut pas être comparée avec celle de la France" pour prédire les conséquences de la réforme, conclut Laurence Brunet. "Il n'y a pas d'équivalent à la situation française à l'étranger", abonde Nathalie Rives. Sans possibilité d'importer, la présidente des Cecos prédit donc une diminution durable de la quantité de gamètes mâles disponibles : "La baisse provoquée par la divulgation obligatoire de l'identité du donneur risque de ne pas pouvoir être rattrapée avant plusieurs années. Et même si nous parvenons à revenir au niveau actuel, cela restera insuffisant face aux nouvelles demandes des couples de femmes et des femmes seules".

Le flou autour de la destruction des stocks, tout comme le manque d'éléments de comparaison à l'étranger, rendent les futurs délais d'attente difficiles à anticiper. "Ce qui est sûr, c'est qu'ils s'allongeront dans le long terme, assure Nathalie Rives. Mais on ne peut pas les estimer précisément : les futurs demandeurs devront peut-être attendre deux, trois, voire quatre ans avant d'avoir accès à une PMA". La patience de nombreux couples pourrait bien ne pas tenir aussi longtemps : "Ceux qui ont beaucoup d’argent partiront à l’étranger. Les autres ne pourront pas, et certains jetteront l'éponge". Une inégalité qui touche déjà les couples de lesbiennes et les femmes seules aujourd'hui, obligées de quitter le pays pour bénéficier d'une insémination artificielle, et risque à l'avenir de s'étendre aux couples infertiles. À moins que les campagnes du gouvernement ne parviennent à mobiliser les mâles énergies de France !

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne