Menu
Libération
TRIBUNE

De la GPA et de l’intérêt supérieur de l’enfant

Si la gestation pour autrui demeure interdite en France, il faut aussi être du côté des enfants qui ont un droit à être pleinement reconnus, indépendamment des moyens par lesquels ils sont venus au monde.
par Daniel Borrillo, juriste
publié le 4 octobre 2019 à 18h16

Tribune. Tout au long du débat parlementaire en cours sur le projet de loi bioéthique, la droite, en manque d'arguments, n'hésite pas à brandir le spectre de la GPA pour s'opposer à la PMA pour toutes. La «pente savonneuse», raisonnement qui exagère les conséquences d'une thèse en imaginant une chaîne de conséquences aboutissant à un résultat catastrophique, fait partie de la politique de panique morale alimentée par l'opposition conservatrice. Soyons clairs, il n'existe aucune ambiguïté : les conventions relatives à la gestation pour autrui demeurent et demeureront interdites par la loi civile et sanctionnées par la loi pénale. Et lorsque le gouvernement annonce vouloir clarifier l'état du droit concernant la filiation des enfants nés de GPA à l'étranger, il ne fait que tenir une promesse électorale et aligner la législation française aux exigences du droit européen : «Nous assurerons que les enfants issus de la GPA nés à l'étranger voient leur filiation reconnue à l'état civil français, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme», est-il écrit dans le programme du candidat Macron en 2017. Le Président, comme le juge européen, ne se place pas du côté des parents mais du côté des enfants, lesquels ont un droit à être pleinement reconnus, indépendamment des moyens par lesquels ils sont venus au monde. L'amendement à la loi bioéthique proposé par le député LREM Jean-Louis Touraine, voté jeudi à l'Assemblée nationale, va dans le même sens : «Permettre la reconnaissance de la filiation des enfants nés de GPA à l'étranger en faisant exécuter une décision de justice étrangère qui établit la filiation.»

Concernant le droit français, la question n'est pas nouvelle. Tout en maintenant l'interdiction de sa pratique, le Conseil d'Etat avait validé la circulaire Taubira de 2013 selon laquelle le recours à une GPA ne justifiait pas le refus d'un certificat de nationalité à un enfant né à l'étranger de parents français. Prenant acte de la condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), les juges du Palais Royal soulignent que «la seule circonstance que la naissance d'un enfant à l'étranger ait pour origine un contrat qui est entaché de nullité au regard de l'ordre public français ne peut, sans porter une atteinte disproportionnée à ce qu'implique, en termes de nationalité, le droit de l'enfant au respect de sa vie privée, garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, conduire à priver cet enfant de la nationalité française à laquelle il a droit […] lorsque sa filiation avec un Français est établie». La circulaire Taubira visait à unifier les pratiques des tribunaux en matière de délivrance de certificat de nationalité française. En 2016, le Conseil d'Etat, afin d'éviter qu'un enfant né par GPA ne soit condamné à rester dans un orphelinat, oblige les autorités consulaires à délivrer un laissez-passer au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant. Le Conseil d'Etat juge que «la seule circonstance qu'un enfant soit né à l'étranger dans le cadre d'un contrat (de gestation ou de procréation pour autrui), même s'il est nul et non avenu au regard du droit français, ne peut conduire à priver cet enfant de la nationalité française».

A lire aussiLa commission bioéthique examine la PMA pour toutes, la Manif pour tous s'enflamme sur la GPA

Plus récemment, saisie pour avis par la Cour de cassation, la CEDH a considéré que «le droit au respect de la vie privée de l'enfant, au sens de l'article 8 de la Convention, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d'un lien de filiation entre cet enfant et sa mère d'intention, désignée dans l'acte de naissance légalement établi à l'étranger comme étant la "mère légale"». S'agissant donc d'un couple hétérosexuel, l'établissement de la filiation par rapport au père biologique s'effectue automatiquement et, concernant la mère d'intention, la CEDH observe qu'il n'y a pas d'obligation de transcription et que ce lien peut «se faire par une autre voie, telle que l'adoption, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l'effectivité́ et la célérité́ de sa mise en œuvre, conformément à̀ l'intérêt supérieur de l'enfant».

La Cour de cassation vient de se prononcer en considérant qu'«une GPA réalisée à l'étranger ne fait pas, à elle seule, obstacle à la reconnaissance en France d'un lien de filiation avec la mère d'intention. Dans le cas d'espèce, seule la transcription des actes de naissance étrangers permet de reconnaître ce lien dans le respect du droit à la vie privée des enfants». Autrement dit, si l'adoption demeure le moyen qui répond le mieux à la reconnaissance de la mère d'intention in abstracto, dans l'affaire Mennesson, toutefois, «une procédure d'adoption porterait une atteinte disproportionnée à la vie privée des enfants : celles-ci sont nées depuis plus de 18 ans, leurs actes de naissance ont été établis à l'étranger dans un cadre légal…»

Les juges ont décidé d’un cas spécifique. C’est maintenant au législateur et au gouvernement de régler la question générale, celle relative à la facilitation de l’établissement d’un lien de filiation avec l’enfant né par GPA à l’étranger et le deuxième parent d’intention, femme ou homme. Pour ce faire, le gouvernement a annoncé l’adoption d’une circulaire dont le contenu, selon ses mots, serait déterminé par cet arrêt de la Cour de cassation. Le gouvernement se trouve désormais face à un choix décisif : soit, a minima, considérer qu’il faut passer par l’adoption (ce qui est possible uniquement pour les couples mariés et à condition que les enfants soient mineurs), soit aller plus loin (dans le sens de l’amendement Touraine) et indiquer, dans la prochaine circulaire, que lorsque la mère d’intention, ou le deuxième père, figure sur l’acte de naissance légalement établi à l’étranger en vertu d’un jugement préalable à la mise en œuvre de la GPA, la transcription sur les registres de l’état civil français doit être automatique car ni l’ordre public, ni l’indisponibilité de l’état des personnes, ni aucun autre argument ne constituent des raisons susceptibles de déroger l’intérêt supérieur de l’enfant de voir sa filiation pleinement et rapidement établie.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique