Christiane TaubiraAgressions, dégradations : le mouvement anti-PMA pour toutes se radicalise-t-il ?

Par Timothée de Rauglaudre le 24/01/2020
agressions

Si les agressions de groupuscules d'extrême droite en marge des cortèges sont une constante depuis les débuts de La Manif pour tous, la marche de dimanche a donné lieu à des violences plus directement liées aux manifestants.

Dimanche 19 janvier, le mouvement "Marchons Enfants !", composé de La Manif pour tous et de 16 autres associations, organisait sa deuxième manifestation à Paris contre la PMA pour toutes, adoptée depuis par les sénateurs - dans une version largement édulcorée. Force est de constater que les troupes des opposants faiblissent : le cabinet indépendant Occurrence a compté 26.000 participants dimanche, contre 74.500 à la première manif nationale en octobre dernier. Une goutte d'eau comparée aux premières mobilisations de 2012 et 2013 qui pouvaient rassembler des centaines de milliers de personnes. La marche de dimanche a été émaillée d'actes de violence, d'agressions et dégradations, en marge des cortèges voire à l'intérieur même. Alors que l'ouverture de la PMA à toutes les femmes semble en bonne passe d'être adoptée, le mouvement connaît-il un phénomène de radicalisation ?

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Comme le racontait lundi le journaliste indépendant Pierre Plottu dans Libération, un journaliste de France Inter a été agressé en marge de la manif. Alors qu'il couvre la manifestation pour la radio, Sébastien Sabiron est "pris à partie" par plusieurs jeunes. "J’ai pris quelques coups de pied et un coup de poing m’a frôlé la joue, ils m’ont traité de "hippie de merde" aussi", raconte-t-il à Libération. Plus tard, les "Zouaves Paris", groupe informel qui se revendique de l'ultranationaliste Groupe union défense (GUD), ont diffusé en ligne une photo attestant de leur présence à la manif, en revendiquant "quelques claques méritées pour un journaliste de France Inter (il transmettra le message à Frédéric Fromet)". Une référence au chansonnier auteur du sketch "Jésus est pédé" diffusé sur France Inter, qui lui a valu une vague d'accusations de blasphème et de menaces émanant, notamment, de catholiques intégristes, comme le racontait TÊTU la semaine dernière.

Ultradroite

En octobre, c'étaient des journalistes de l'émission Quotidien sur TMC qui avaient subi un sort similaire. La reporter Salhia Brakhlia a raconté en plateau qu'elle filmait avec son équipe des manifestants en train de décrocher des drapeaux arc-en-ciel, quand des hommes "issus d’un groupuscule d’extrême droite" ont agressé les journalistes. Les vidéos publiées par l'émission montrent un homme vêtu d'un gilet jaune casser le matériel de l'équipe, sous les rires de la foule. Il s'agit, comme l'a rapporté Le HuffPost, d'Yvan Benedetti, ancien président du groupe ultranationaliste de l'Œuvre française. À ses côtés, Hervé Ryssen, ancien du GUD. L'équipe de Quotidien a porté plainte, et Albéric Dumont, vice-président et porte-parole de La Manif pour tous, a déclaré au HuffPost que l'association "[condamnait] sans la moindre ambiguïté" l'agression.

Plus récemment, à Nantes, une militante LGBT+ est à son tour agressée lors d'un rassemblement local de "Marchons Enfants !" À l'issue de la manifestation, des activistes organisant une contre-manif se confrontent à un groupe de sympathisants portant des drapeaux "Marchons Enfants !" et d'hommes cagoulés et vêtus de noir. Une jeune femme, se retrouvant isolée, se prend un coup de poing, tombe et perd connaissance, avant de finir à l'hôpital. Des images de la manif montrent un jeune homme en train de se battre, portant à la main un tatouage de la rune d’Odal, symbole récupéré par les suprémacistes blancs.

"La violence est maintenue à l’extérieur par le service d’ordre"

"Cette violence est cultivée tout particulièrement dans des groupuscules qui en font un élément de leur identité propre et justifient leur positionnement par leur radicalité, en s'opposant au légalisme et à l'attentisme du mouvement, estime le politologue Yann Raison du Cleuziou, auteur d'Une contre révolution catholique : aux origines de La Manif pour tous (Seuil, 2019), qui a suivi depuis ses débuts le mouvement anti-loi Taubira et anti-PMA pour toutes. Au sein des cortèges officiels, la violence est toujours maintenue à l’extérieur par le service d’ordre." À la manif de dimanche, à laquelle il a assisté, il a observé que des militants de l'Action française marchaient en marge des cortèges et collaient leurs autocollants. Ceux-ci étaient, dit-il, systématiquement décollés par des manifestants de "Marchons Enfants !" qui "considéraient que c'étaient une instrumentalisation de leur cause".

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D'après le chercheur, des "groupuscules d'extrême droite" ont toujours, depuis les premières mobilisations, "tenté de récupérer le mouvement". Avec toutefois une évolution : "Lors de la première période, il y avait toujours la manif de Civitas et celle de La Manif pour tous. En général, les groupes d’extrême droite, l'Action française ou les Jeunesses nationalistes, s’intégraient au cortège Civitas. Maintenant, il n'y a plus de cortège Civitas distinct, ce qui favorise probablement une porosité au sein des cortèges. On voit des drapeaux du Sacré-Cœur [symbole prisé des catholiques intégristes, ndlr] qu’on ne voyait pas en 2012. Mais c'est minoritaire."

Dégradations

Toutefois, en dehors de l'action de ces groupuscules radicaux, TÊTU a identifié une série d'éléments, plus directement liés aux manifestants, qui interrogent. Dimanche, un internaute a par exemple repéré un tag "PMA hors de nos vies" sur un pont situé sur le parcours de la manif, ainsi que des cartons empilés sur le même pont, qui contenaient des chaufferettes distribuées par l'organisation aux manifestants pour les aider à se protéger du froid. Un autre tag, "PMA, GPA : enfant vendu", a également été identifié sur un "Jump", ces vélos électriques rouges en free-floating commercialisés par Uber.

Hormis ces dégradations, une contre-manifestante a raconté à TÊTU la violence physique et verbale à laquelle elle et ses camarades se sont retrouvées confrontées. Dimanche vers 13 heures, Noa, 20 ans, rejoint une trentaine d'autres membres du collectif féministe Collage Féminicides au Louvre. Toutes se sont vêtues de la manière "la plus clichée possible", avec des nœuds dans les cheveux et des cols Claudine, pour pouvoir passer incognito. "On voulait pouvoir faire une action sans se mettre trop en danger. Ce sont des gens qui sont plus ou moins dangereux, on ne voulait pas forcément rentrer dans la manif." Les militantes marchent à proximité du cortège lors qu'elles se lancent dans un kiss-in.

"Les sorcières au bûcher !"

Un cliché de la photographe Tay Calenda, diffusé sur Twitter par le collectif "Ni Una Menos", montre la bousculade qui a suivi. "On a été poussées et bougées par le service de sécurité avec des T-shirts orange, décrit Noa. Ce qui est plus dérangeant, c’est que certains n’avaient même pas de brassard et ont commencé à nous pousser et à nous encercler." Ceux-ci, raconte la militante féministe, sont "plus violents, plus âgés". Des insultes fusent : "Connasses ! Nous on aime pas les lesbiennes !" Une vidéo de la même photographe montre des manifestants, brandissant des drapeaux "Marchons Enfants !", crier aux membres du collectif Collage Féminicides : "Les sorcières au bûcher !" "Je suis militante féministe depuis longtemps, c'est la première fois que j'entends ça, commente Noa. On aurait dit le retour de l'Inquisition." Une militante reçoit un "coup d'un manifestant". Une autre se retrouve à terre.

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En août dernier, un article du Point décrivait le blues de La Manif pour tous et de ses alliés face au projet de loi sur la PMA pour toutes. "Certains membres du mouvement, jaloux des résultats obtenus par les gilets jaunes, prévoient donc de se radicaliser", écrivait le journaliste. Avant de donner la parole au porte-parole de l'association Albéric Dumont, qui confirme la tendance : "On en a ras le bol d'être les bons citoyens qui sortent gentiment dans la rue." Certains sympathisants de "Marchons Enfants !" auraient-ils pris cette déclaration un peu trop au pied de la lettre ?

 

Crédit photo : Peter Potrowl / Wikimedia Commons