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L’Organisation internationale du travail dit-elle que la GPA est «une exploitation sexuelle», comme l’affirme la Manif pour tous ?

Le mouvement contre le mariage pour tous et l’adoption par des couples de même sexe assure qu’un rapport de l’OIT qualifie la gestation pour autrui d’«exploitation sexuelle». L’auteur du document «rejette cette interprétation».
par Jacques Pezet
publié le 28 octobre 2021 à 16h53
Question posée le 28 octobre,

Dans une interview publiée le 19 octobre par Gènéthique, un site fondé par plusieurs acteurs des mouvements anti-avortement et anti-euthanasie, la présidente de la Manif pour tous, Ludovine de La Rochère, affirme que «l’Organisation internationale du travail qualifie la gestation par autrui de “travail forcé” et “d’exploitation sexuelle”». Ce nouvel argument anti-GPA a aussitôt été brandi par le mouvement sur ses réseaux sociaux, en ciblant notamment l’animateur de télévision homosexuel Christophe Beaugrand, accusé de faire la «propagande pour l’exploitation des femmes» car il a eu recours à une GPA avec son mari.

Des comptes militants pro LGBT ont voulu disqualifier les propos de la Manif pour tous en affirmant que «l’Organisation internationale du travail ne dit nulle part que GPA = travail forcé. Mieux, elle préconise dans un doc coédité avec ONU Femmes l’extension aux parents recourant à la GPA des mêmes droits et protections que les autres ménages».

De fait, dans un rapport intitulé «Autonomiser les femmes au travail. Politiques et pratiques des entreprises en faveur de l’égalité de genre», publié en novembre 2020, l’OIT et ONU Femmes formulent plusieurs propositions destinées aux entreprises afin de promouvoir l’égalité de genre au travail. Le rapport insiste sur le fait que «ces mesures devraient soutenir tous les types de ménages (parents célibataires, parents qui adoptent ou ont recours à la gestation pour autrui, couples homosexuels, etc.) de façon à ce qu’aucun ne soit laissé pour compte».

En réponse, la Manif pour tous a alors publié des captures d’écran issues d’un document, en anglais, signé par l’Organisation internationale du travail, dans lequel on peut lire la phrase suivante : «Le terme d’exploitation fait référence à la nature systémique des abus sexuels et, à ce titre, se concentre sur les relations sexuelles flagrantes, tout en laissant de côté les formes plus régulières d’abus qui sont également importantes. Inversement, le terme peut aussi être utilisé pour présenter des relations sexuelles consenties ou d’autres relations marchandisées (par exemple, la maternité de substitution) comme forcées ou abusives.»

Intitulé «The Work in Freedom Handbook» («le Manuel du travail en liberté»), ce document existe bien puisqu’il a été publié en avril par l’Organisation internationale du travail. Il se présente comme «un glossaire critique des termes relatifs à la liberté et la non-liberté dans le monde du travail». La seconde capture d’écran apparaît à la page 43, dans la colonne «inconvénients, angles morts et limites» de la définition du mot «exploitation sexuelle».

Une citation «grossièrement sortie de son contexte»

Contacté par CheckNews, l’auteur du manuel, Igor Bosc, a tenu à prendre ses distances avec les propos du mouvement anti-GPA. Il nous écrit : «Permettez-moi d’affirmer sans équivoque que la citation à laquelle vous faites référence dans l’interview de De La Rochère est grossièrement sortie de son contexte et instrumentalisée pour soutenir ses propres opinions. Je rejette son interprétation.» Sur Twitter, Igor Bosc a indiqué à La Manif Pour Tous qu’elle donne ainsi «un sens erroné aux propos du texte».

Le conseiller technique principal du programme Travail en liberté à l’OIT souligne que «la référence à la maternité de substitution [autre terme désignant la GPA, ndlr] figure dans la colonne “inconvénients, angles morts et limites”. En d’autres termes, la colonne décrit comment le paradigme de “l’exploitation sexuelle” peut être détourné pour faire passer des relations sexuelles consenties ou d’autres relations marchandes (par exemple, la maternité de substitution) pour des relations forcées ou abusives».

L’Organisation internationale du travail ne dit donc pas que la GPA relève de l’exploitation sexuelle, mais que le terme d’«exploitation sexuelle» a pour inconvénient de pouvoir être utilisé par certains pour désigner des pratiques consenties, comme la gestation pour autrui.

Précisant l’objet de son travail, Igor Bosc indique que «l’argumentation du glossaire est basée sur une critique discursive structuraliste. Comme il est clairement mentionné dans la préface, une telle analyse linguistique n’a pas pour but d’attribuer un jugement moral sur ce qui est ou n’est pas un travail (ce que suppose de La Rochère). L’argumentation se contente de montrer comment les différentes entrées du glossaire encadrent des points de vue différents sur les libertés ou les non-libertés du travail».

Affirmation à vérifier

L'OIT considère la GPA comme de l'exploitation sexuelle et du travail forcé.

Conclusion

Faux, l'auteur du rapport de l'OIT dément cette mauvaise lecture d'un rapport par la Manif pour tous.

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