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Marlène SchiappaGrenelle des violences conjugales : ce que propose Marlène Schiappa pour les couples de même sexe

Par Youen Tanguy le 16/09/2019
violences conjugales

[PREMIUM] TÊTU a interrogé la secrétaire d'Etat chargée de l'égalité femmes-hommes et de la lutte contre les discriminations pour savoir si elle avait pensé aux couples de même sexe dans son Grenelle des violences conjugales. Elle nous détaille son plan d'action.

C'est un sujet dont on parle peu. Il y a quelques semaines, pour le lancement du Grenelle des violences conjugales initiée par Marlène Schiappa, les députés Raphaël Gérard et Laurence Vanceunebrock-Miallon ont interpellé la secrétaire d'Etat sur l'inclusion des personnes LGBT+. "Sans remettre en question la réalité statistique des violences - 88% des victimes sont des femmes - les deux députés soulignent "que ce prisme fondé sur des stéréotypes de genre contribue aujourd’hui à invisibiliser la diversité des contextes des violences conjugales et pèse sur la bonne prise en charge de certaines victimes". Un sujet auquel TÊTU a consacré une grande enquête dans le numéro 218 du magazine.

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Afin de connaitre ses ambitions sur le sujet, nous avons rencontré la secrétaire d'Etat chargée de l'égalité femmes-hommes et de la lutte contre les discriminations à son ministère le 12 septembre dernier. Elle a notamment annoncé à TÊTU que des ateliers spécifiques aux couples de même sexe auraient lieu pendant le Grenelle et qu'une campagne de communication sur ce sujet était en préparation. Elle plaide également pour le décloisonnement du 3919 - numéro d'écoute national des femmes victimes - "pas pensé pour recevoir la paroles des personnes LGBT+". Interview.

TÊTU : Avez-vous pensé à intégrer les violences conjugales au sein des couples de même sexe dans le Grenelle qui se terminera le 25 novembre prochain ?

Marlène Schiappa : Nous avons créé douze groupes de travail thématiques dans le cadre de ce Grenelle, dont celui des « violences intrafamiliales ». Nous y parlerons des violences à l’intérieur de la famille ou dans les différentes formes de couples, qu’il s’agisse de familles recomposées, de couples en séparation ou de couples de même sexe. J’y ai travaillé quand j’étais élue locale chargée des questions LGBT. Une association locale du Loiret, très en pointe sur le sujet, en fera partie. Les deux députés Raphaël Gérard et Laurence Vanceunebrock-Mialon sont également très engagés sur ce sujet.

Quels seront les sujets abordés lors de ces ateliers ?

Nous travaillerons notamment sur les spécificités qui existent dans les couples de même sexe, comme le chantage à l’outing, ‘si tu vas porter plainte, je dirai à toute ta famille que tu es gay ou lesbienne’. Il y a également le fait d’être moins cru et pris au sérieux : ‘quand vous allez au commissariat et que vous dites que vous êtes un homme victime de violences, c’est déjà compliqué. Mais quand vous dites qu’elles viennent de votre compagnon, vous risquez d’ajouter une combinaison de stéréotypes. Cela veut dire qu’il y a une formation à l’existence de ces violences qui doit être menée vis-à-vis des policiers. Les forces de l’ordre sont en effet de plus en plus formées aux violences conjugales, mais nous devons nous assurer que les violences au sein des couples de même sexe y soient bien prises en compte. Cette question sera débattue dans le groupe de travail « Accueil au commissariat / brigade de gendarmerie » où l’on travaillera sur tous les cas de figure et toutes les situations qui peuvent amener quelqu’un à déposer une plainte.

Vous évoquez le dépôt de plainte, je vais donc vous lire deux témoignages recueillis par TÊTU en novembre dernier. Le premier, celui de Fabrice : « Pour eux, c’était juste une bagarre d’égo entre deux mecs, une bagarre que j’avais perdue. On m’a dit ‘vous êtes deux grands gaillards, vous êtes capable de vous défendre et de régler vos affaires ». Le deuxième, de Lao : « J’ai raconté au policier ce qui m’était arrivé et ça l’a fait marrer. Il m’a dit "On ne peut pas prendre des plaintes pour deux grognasses qui se crêpent le chignon"...

Tel que vous le rapportez, cela ressemble clairement à de l’homophobie et à des stéréotypes sexistes. Quand deux femmes se battent ou sont victimes de violences, ce serait forcément du ‘crêpage de chignon’. Les hommes, eux, seraient forcément forts et puissants. Mais enfin ! Il y a des femmes et des hommes qui sont victimes de violences conjugales et qui sont forts. C’est toute une représentation qu’il faut déconstruire, à la croisée de nombreux sujets tabous : violences conjugales, couples de même sexe, accès à la plainte… etc.

Justement, faut-il former les forces de l’ordre, notamment via les référents LGBT ?

Évidemment. Il faut que tout policier, et pas seulement les référents LGBT, soit en mesure de prendre et de qualifier la plainte. C'est leur devoir. D’abord en reconnaissant qu’il y a un couple et donc que les violences sont conjugales. Et ensuite en reconnaissant le caractère particulier qui fait qu’il y a une plainte et potentiellement un danger.

On remarque que les hommes - gay ou hétéros - sont trois fois moins enclins à porter plainte que les femmes hétérosexuelles. Même constat pour les femmes lesbiennes. Y’a-t-il d’autres moyens pour libérer la parole et les inciter à porter plainte ?

Il faut travailler sur l’accompagnement et faire en sorte qu'une personne victime de violences conjugales, de surcroît dans un couple de même sexe, puisse se sentir en confiance dans un commissariat. Le risque, c’est qu’elle ait tendance à s’autocensurer en ne disant pas qu’elle est homosexuelle, en minimisant les violences… C’est pour cela que nous avons recruté 73 psychologues dans les commissariats, auxquels il convient d’ajouter les 261 intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie, afin de contribuer à libérer la parole. Nous avons également lancé une plateforme de signalement en ligne de toutes les violences sexistes et sexuelles, disponible anonymement 24h/24 et 7 jours sur 7, avec des policiers et gendarmes spécialement formés aux violences sexistes et sexuelles. Il est parfois plus facile de parler derrière un clavier.

"Quand vous êtes un homme victime de viol par exemple, vous n’avez aucun numéro à appeler"

Vous faites depuis quelques semaines la promotion du 3919, acteur essentiel dans la lutte contre les violences conjugales. Mais ce numéro est-il pensé pour recevoir la parole des personnes LGBT+ et notamment des hommes ?

Non, à la base il est pensé pour recevoir la parole des femmes. Toutes les écoutantes en sont d’ailleurs. Néanmoins, l'année dernière, il y a eu 119 appels de lesbiennes et 72 de gays. Ce chiffre est très bas et c’est surement parce que le numéro n’est pas pensé pour ces personnes. J’irai même plus loin, et c’est un chantier sur lequel je travaille : il n’y a rien pour les hommes victimes de violences. Quand vous êtes un homme victime de viol par exemple, vous n’avez aucun numéro à appeler, aucune association spécialisée à contacter. C’est un sujet sur lequel on travaille depuis deux ans avec de grosses difficultés, car le sujet est extrêmement tabou. On manque d’interlocuteurs spécialisés et de personnes qui veulent porter le sujet. J’ai rencontré des hommes connus, gays, qui ont été victimes de violences conjugales et j’ai voulu faire en sorte qu’ils deviennent un peu figure de proue. Ils ont tous refusé car ils ne voulaient pas mettre ce sujet en avant.

Créer une ligne spécifique aux hommes ou aux personnes LGBT pourrait être une solution ?

Il faut surtout que l’on décloisonne le 3919 afin de créer des passerelles avec d’autres numéros spécialisés. Personnellement, je suis favorable au fait de garder un numéro unique. Il faut maintenant réfléchir à comment rediriger les victimes vers des experts pour ne pas avoir besoin d’expliquer, quand on est gay ou lesbienne par exemple, les mécanismes et les spécificités de ces violences. C’est ce que devra définir le Grenelle.

Mais cela devra se faire en partenariat avec les associations compétentes…

Complètement. SOS Homophobie a naturellement une très grande légitimité et une antériorité de par son numéro d’écoute, actif et très efficace. Mais on peut trouver d’autres partenaires au niveau local. C’est extrêmement important que le centre LGBT ‘du coin' puisse travailler en étroite collaboration avec la Maison des femmes ou les CIDFF (Centre d’information des droits des femmes et de la famille). Je sais à quel point les acteurs de terrain sont des points névralgiques et de rencontre dans lesquels on brise des tabous.

"Ce serait une discrimination de ne pas avoir d’hébergement d’urgence parce que vous êtes LGBT"

Les campagnes de communication sont aujourd’hui, soyons honnêtes, hétéronormées. Entendez-vous prochainement inclure les couples de même sexe ?

Tout à fait. Nous avons d’ailleurs demandé au centre LGBT d’Orléans de reprendre, avec le soutien de mon ministère, sa campagne de communication sur les violences conjugales au sein des couples de même sexe. Cette campagne a été réalisée il y a quelques années, nous voulons la rediffuser largement afin qu’elle serve de base à l’ensemble des centres LGBT de France et qu’elle alerte sur le sujet. Je pense aussi que si l’on veut s’adresser aux couples de même sexe, ça n’est pas nécessairement via une campagne sur TF1, à 20H. Il s’agit plutôt à mon avis de faire une campagne ciblée. Notre premier circuit sera de passer par les centres LGBT dans lesquels les personnes gays peuvent venir pour obtenir de l’aide. Après on sait qu’il y a aussi beaucoup de personnes qui ne sont pas engagées, c’est ceux-là qui sont les plus difficiles à cibler, mais on va justement y travailler (campagne sur les réseaux sociaux, la presse régionale…).

Vous avez annoncé la création de places d’hébergement. Certaines seront-elles fléchées vers les victimes LGBT ?

J’y suis favorable, mais à ma connaissance, ça n’est pas prévu. Il faut que l’on y travaille car ce serait une discrimination de ne pas avoir d’hébergement d’urgence parce que vous êtes LGBT. C’est un angle de travail.

Comment gérer les difficultés posées par la non-mixité de certains centres qui exposent les lesbiennes à des violences de la part de leur ex-conjointe ?

Là encore, nous devons travailler sur ce sujet et je ne peux pas décider toute seule. Nous avions reçu le témoignage d’une femme dont l’ex-compagne s’est fait passer pour une femme hétérosexuelle victime de violences pour intégrer le foyer avec elle et la persécuter. C’est terrible…

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La conceptualisation des violences conjugales, pensées avant tout comme des violences de genre - à raison, car 88% des victimes sont des femmes - n’a-t-elle pas pour effet d’occulter la réalité des violences dans les couples de même sexe et d’invisibiliser les victimes ?

Oui, c’est possible. Et c’est un écueil. Nous devons dénoncer le système de domination qui conduit aux féminicides, sans pour autant occulter les hommes. C’est une ligne de crête et c’est d’ailleurs pour ça qu’il s’agit d’un travail de longue haleine qui doit se faire avec toutes les parties prenantes.

C’est encore tabou de parler des hommes victimes de violences…

Bien sûr, c’est même un double tabou, le premier étant les violences conjugales elles-mêmes et le deuxième étant d’être un homme victime de ces violences.

"Tout part de l’éducation"

Comment lutter politiquement contre la masculinité toxique ?

Tout part de l’éducation. On me dit parfois que je fais trop de signalements au CSA par exemple. Mais dès lors qu’il y a un propos homophobe, je me dis qu’il y a des enfants qui peuvent l’entendre. J’ai grandi en cités et j’écoutais des rappeurs chanter des paroles parfois homophobes, c’est resté la norme pour moi jusqu’à ce que j’ai la chance de rencontrer au lycée des gens engagés dans le mouvement LGBT qui m’ont permis de déconstruire tout cela. Si vous grandissez uniquement nourri de ces propos, des représentations de télé-réalité où les hommes ne sont que bodybuildés et crachent sur les femmes… ça devient compliqué. Nous avons un groupe de travail « Prévention et Éducation » dans le Grenelle. Avec mon collègue Jean-Michel Blanquer, nous allons fortement nous mobiliser pour faire avancer les politiques publiques sur ce sujet. A son crédit, il a commencé avec une campagne sur les LGBTphobies dans les collèges, ce qui est inédit. Il avance, mais maintenant, il faut que ça passe un cran au-dessus et que tous les ados puissent être sensibilisés à ces sujets.

Allez-vous inclure un volet LGBT dans votre plan de lutte contre les violences conjugales ?

Je ne peux pas vous répondre avant la fin du Grenelle, mais il y a deux possibilités. Soit on considère qu’il faut en faire un sujet généraliste, ce qui est parfois plus difficile parce que quand c’est partout, ça peut aussi être nulle part. Soit le groupe de travail qui planchera sur ce sujet nous demandera de mettre en place des actions précises qui seront mesurables. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes mettra en place des indicateurs permettant de mesurer concrètement les effets des mesures, des politiques publiques mises en place. Il nous a déjà dit qu’il en créerait sur la question des couples de même sexe.

Et de l’argent sera mis sur la table ?

Bien sûr, toute nouvelle politique publique sera financée.

Crédit photo : Martin BUREAU - JACQUES DEMARTHON / AFP.