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ruralitéQUEERTOPIE. Remy Frejaville, l'homme derrière la Bodegay, une fête de village très queer

Par Antoine Patinet le 24/05/2019
Bodegay

Remy Frejaville a vraiment une drôle d'histoire. Après un coming-out tardif, il rejoint des assos sportives LGBT, et participe en 2012 à l'élection de Mister Gay World. Aujourd'hui, s'il vit à Paris pour le boulot, il retourne chaque année dans sa ville natale, Carmaux, dans le Tarn, pour bousculer les mentalités, et apporter, de la manière la plus festive qui soit, un peu de visibilité aux personnes LGBT en milieu rural. Dans les Queertopies, TÊTU met en avant des personnes qui, à leur manière, oeuvrent au bien-être des LGBT. On s'est donc dit qu'il y avait sa place.

 

Vous ne le savez pas encore, mais il est fort possible que vous connaissiez déjà Remy Frejaville. Sa barbe soignée, sa belle gueule et sa musculature fine lui avaient valu, en 2012, d'être élu Mister Gay par les lecteurs de TÊTU.  On le rencontre dans son appartement du 18è arrondissement. Plus tôt dans l'après-midi, il nous avait envoyé un SMS, prévenant. "Je ne bois pas de café. Est-ce que tu veux que j'achète quelque chose en particulier ?" "De l'eau, ça ira très bien." Il nous sert donc un verre, et nous raconte qu'il est un peu bouleversé parce qu'il a perdu un de ses amis. On lui demande s'il veut reporter. "Non, non. Je sais que ça va aller quand je vais commencer à parler de la Bodegay." 

Une soirée de visibilité LGBT en milieu rural

Parce que si on est là, c'est que Remy Frejaville organise à Carmaux, à côté d'Albi, une soirée très particulière. Chaque été, cette petite ville d'un peu plus de 9.000 habitants vibre le temps d'un week-end à l'occasion des fêtes de la Saint-Privat. Quatre associations locales disposent chacune d'un espace dans la ville, des "bodegas", et assurent l'animation et la restauration pour les milliers de touristes et de curieux du coin. Jusque-là, une fête de village comme les autres. Mais il y a deux ans, quelque chose change dans la bodega de l'association Point de Fût. Les bénévoles décident de consacrer une soirée à la visibilité LGBT+. "Le nom était tout trouvé, il suffisait de rajouter un y » : la Bodegay était née.

 

QUEERTOPIE. Remy Frejaville, l'homme derrière la Bodegay, une fête de village très queer

 

Point de fût, c'est une association cofondée il y a plus de vingt ans par Remy Frejaville et ses potes (hétéros) de Carmaux. "On voulait animer un peu la ville, proposer des activités, des soirées. Et puis de fil en aiguille, on a monté un projet pour avoir notre propre Bodega à la Saint-Privat », raconte le Carmausin d'origine. Depuis 17 ans que leur bodega existe, il y retourne chaque été, ou presque, y distribue les bières, et on l'imagine facilement gratifier tout le monde, des voisins aux touristes, de son sourire de mec bienveillant.

Une élection décisive

A Carmaux, l'annonce de sa sexualité n'a pas posé de problème. Quand il a fait son coming-out, personne - même pas ses coéquipiers de foot - n'a rien trouvé à y redire. Tout comme son élection de Mister Gay France. "Mes amis trouvaient ça incroyable qu'un fils de mineur du coin se retrouve à Johannesburg, pour représenter la France au concours Mister Gay World."

Pendant le concours, il fait des rencontres qui vont le décider à s'engager. "Mister Gay Ethiopie ne pouvait plus rentrer chez lui, un autre était exilé politique, d'autres encore avaient fait des tentatives de suicide... Ça m'a fait ouvrir les yeux sur énormément de choses."  C'est à partir de ce moment-là que l'idée d'une soirée de visibilité LGBT dans sa ville natale a commencé à germer dans son esprit.

 

QUEERTOPIE. Remy Frejaville, l'homme derrière la Bodegay, une fête de village très queer
Rémy Frejaville, fils de mineur, gay et fier de l'être. Crédit photo : HELLZA

 

Hétéros plus que bienvenus

Parce qu'à Carmaux, comme dans de nombreuses communes rurales, la visibilité, c'est pas encore ça. "Quand j'étais jeune, je n'osais même pas regarder la couverture de TÊTU à la maison de la presse, se souvient Remy. J'avais peur qu'on le voit, que ça revienne aux oreilles de mon père. Et puis à l'époque, il n'y avait pas internet, les applis... Je ne savais pas si j'étais le seul sur terre à être comme ça. C'était l'ignorance totale."

"Pendant une soirée, on banalise la différence." 

Alors oui, entre temps, il y a eu internet. Maintenant, les jeunes gays et lesbiennes savent peut-être davantage qu'ils ne sont pas tou·te·s seul·e·s et rêvent d'une autre vie, loin de Carmaux ou d'ailleurs. Mais pour leurs parents, leurs amis, leurs familles ? Pour "ceux qui croient tous les homos sont à Paris" ?

C'est aussi pour eux que Remy a voulu que cette soirée ait lieu pendant la fête du village. "Je n'ai jamais voulu faire une soirée LGBT. La Bodegay doit être une soirée ouverte à tous. Je veux que les hétéros voient des personnages différents, acceptent qu'un garçon soit déguisé en fille à côté d'eux et s'amusent avec lui. Pendant une soirée, on voit des filles, des garçons, s'embrasser au milieu de la rue. Ce qu'ils ne pourraient pas faire les 364 autres jours de l'année. Pendant une soirée, on banalise la différence." 

QUEERTOPIE. Remy Frejaville, l'homme derrière la Bodegay, une fête de village très queer

Alors chaque année, il invite des performeurs, des drag queens, des transformistes. En août prochain, un Dj devrait remixer des titres essentiels de la culture queer.  Le rêve de Remy Frejaville, c'est qu'à Carmaux, deux hommes puissent marcher main dans la main, et que personne ne se retournent. "A part dans le Marais à Paris, je ne vois pas beaucoup d'endroits où deux garçons peuvent se tenir la main dans la rue sans que les gens se retournent." Il aimerait que d'autres personnes, dans d'autres villes et villages de France, s'inspirent de la Bodegay, et fassent la même chose. Sans avoir peur des représailles.

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Des effets déjà positifs

Car pour l'instant, il n'y a pas d'incident à déclarer. "Ceux qui ne veulent pas venir passent leur chemin. Mais si on a mis cinq ans à le faire, c'est aussi parce qu'on avait peur des individus mal intentionnés essaient de semer la pagaille". Mieux encore, la soirée a permis à certains habitants LGBT du Tarn de s'organiser. Les membres de l'association Diversités Pastel le disent, la Bodegay leur a donné peut-être encore davantage le courage de le faire. "On s'était déjà tous rencontrés, on savait qu'on voulait le faire, mais c'est après la Bodegay qu'on a vraiment décidé de passer à l'action", raconte Tony Kunter, le chargé de communication de l'asso albigeoise. Cette année, ils seront partenaires de la soirée, et bénéficieront d'une partie des recettes. Une petite contribution nécessaire pour une asso qui débute.

Pour l'associatif, "sans le réseau de Remy, ça n'aurait jamais été possible d'organiser une soirée comme ça à Carmaux." Remy est connu comme le loup blanc au village. Il était ce que certains qualifient de "masc", un mec que personne n'a jamais "soupçonné" d'être homo. Le revers de la médaille, c'est qu'il a mis 25 ans avant de s'accepter. "J'ai l'impression d'avoir perdu un quart de siècle" confie-t-il. D'ailleurs, son père est mort avant qu'il n'ait pu trouver le courage de lui dire. Il avait peur de sa réaction.

Aujourd'hui, peut-être que les jeunes de Carmaux auront moins d'appréhension à passer à l'acte. Parce que les homos y seront devenus visibles. Que leurs parents auront mangé des saucisses-frites entourés de drag queens, de "folles" ou de butchs, et qu'ils se diront que oui, les "pédés", les "trans'" et les "gouines" sont bien des humains comme les autres.

 

 

 

Crédit photo : HELLZA / DR