3 questions aux organisateurs du festival « indiscipliné » Jerk Off

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« On donne la parole à des jeunes artistes, émergents, qui démarrent ou qui sont dans une forme alternative, non commerciale. »

Image extraite de la performance de Tomas Gonzalez, « Je m'appelle Tomas Gonzalez », visible le 13 septembre, à 21h., au Carreau du Temple, à Paris - Johann Besse

C’est la 12e édition de Jerk Off, un festival vraiment pas comme les autres qui se tient dans plusieurs lieux parisiens du 4 au 15 septembre. L’objectif de ses créateurs est de proposer des événements et des spectacles nouveaux et intéressants par des artistes souvent LGBT+ et queer encore peu connus. D’où une programmation exigeante, loin des sentiers battus de la culture queer mainstream.

Comment les choix sont-ils faits ? Quelles sont les spécificités d’un tel festival et aussi les difficultés rencontrées ? Pour en parler, nous avons interviewé David Diblio et Bruno Péguy, respectivement directeur artistique et directeur de Jerk Off.

Komitid : « Raconter d’autres histoires », c’est le souhait du festival Jerk Off. Comment cela a-t-il guidé vos choix artistiques ?

David Dibilio : Je pars du principe qu’il y a beaucoup d’artistes LGBT+ avec un point de vue singulier. Un point de vue pas forcément universel et normatif. Jerk Off, c’est raconter le monde à partir de plusieurs regards pour essayer de traduire sa complexité, un regard à 360°. On n’est pas un festival de têtes d’affiche. On donne la parole à des jeunes artistes, émergents, qui démarrent ou qui sont dans une forme alternative, non commerciale. C’est une programmation décalée. Mais il faut que sur le plateau, les spectacles fonctionnent. Parfois, les aspects communautaire et militant prennent le dessus sur la qualité et ce n’est pas ce que nous voulons faire.

Bruno Péguy : C’est bien qu’il y ait des artistes LGBT+ mainstream mais à Jerk Off, on donne la parole à d’autres artistes. En 12 éditions, notre état d’esprit n’a pas changé. Les histoires ont changé. Aujourd’hui, on parle de la violence homophobe depuis la Manif pour tous, quelque chose dont on n’aurait pas parlé au début.

DD : Ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui, ces sujets sont devenus légitimes. C’est positif. Mais c’est plus compliqué de défendre des spectacles vivants, notamment chorégraphiques, qui sont fragiles. On parie sur la curiosité du public.

BP : Nous n’avons aucun sponsor grand public. Nous avons essayé. Les artistes que nous programmons sont ensuite repérés. Je pense à Rebecca Chaillon qui a fait le in d’Avignon cette année, et qui avait participé à Jerk Off il y a trois ans. De nombreux organismes professionnels, année après année, nous renouvellent leur soutien. Nous avons deux évènements gratuits et les tarifs des spectacles vont de 5 à 15 euros. Cela reste accessible.

« Il y a des sujets dont il faut toujours parler, comme le féminisme. Les problèmes sont toujours là et c’est à nous de trouver des artistes qui vont avoir une analyse différente »

Jerk Off présente de très nombreux artistes LGBT+ et queer mais vous ne souhaitez pas le mettre en avant ?

DD : Aujourd’hui on a l’impression que tout le monde fait du queer. Quand on a commencé, ce n’était pas le cas. Il y avait une rareté de la visibilité et de la parole. Il y a la nécessité de garder notre originalité, notre singularité. Le mot queer ne veut plus rien dire, il s’est démonétisé. Je n’ai pas envie que Jerk Off se rajoute à la longue liste des événements qui se disent tous queer et qui en fait sont du pinkwashing ou pour vendre des produits.

BP : C’est vraiment la qualité des histoires que racontent les artistes qui fait la différence. Pendant longtemps, on ne disait pas « artistes queer ». On parlait plutôt de sensibilité, d’un message dit avec beaucoup de talent. Il y a des sujets dont il faut toujours parler, comme le féminisme. Les problèmes sont toujours là et c’est à nous de trouver des artistes qui vont avoir une analyse différente, une autre façon de le dire.

DD : Le spectacle de Matteo Sedda, POZ !, où il parle de sa vie de pédé séropo, est assez unique. Il n’y a pas en ce moment de spectacle sur cette thématique du VIH/sida. On continue à voir des manques et des récits qu’on n’entend pas.

Dans la programmation 2019, la plupart des artistes sont blanc.he.s. Est-ce difficile de programmer des artistes racisé.e.s ?

DD : C’est complètement un sujet pour nous. Il y a une question de réseau. Très concrètement, j’essaie de mettre en place des partenariats. Dans la danse, les spectacles sont le produit du système français, qui demeure très blanc. Il y a aussi des choses qui n’ont pas pu se faire cette année notamment avec une artiste martiniquaise, qui viendra finalement l’année prochaine. C’est une vigilance qu’on a et ça prendra un peu de temps.

Nous présentons douze événements et spectacles et chaque année, la programmation dépend aussi des propositions qu’on nous fait. Nous programmons Tarek depuis trois ans, qui se présente comme « queer marron » et qui raconte ses histoires de « queer marron ».

BP : L’année dernière, nous avions une grosse expo sur la Russie et il y a eu des artistes racisé.e.s qui étaient exposé.e.s. L’année prochaine, nous allons faire un focus sur l’art contemporain avec de nombreux artistes étrangers. Donc je sais que l’année prochaine on aura beaucoup plus de personnes racisées. Nous avons aussi un problème de budget. J’ai voulu pour une expo d’art contemporain travailler notamment avec des artistes d’Afrique du Sud mais c’est hors budget.

Jerk Off, Festival pluridisciplinaire indiscipliné, du 4 au 15 septembre, dans plusieurs lieux à Paris. Renseignements et réservations sur le site de Jerk Off.