Solennel, le curieux quatuor s’avance vers la scène et s’empare du micro. « Olala, je les adore », dit à voix basse une jeune femme dans le public en tirant sur la manche de son amie. « Mes enfants chéris », commence sœur Garde-Cuisses, avant d’entamer sa « prière » :
« Que sainte Pouffe, patronne des couvents de France, sainte Sapho, patronne des filles qui aiment les filles, sainte Tapiola, patronne des garçons qui aiment les garçons, sainte Cyclette, patronne des bi, (…) sainte Rita, patronne des causes désespérées – et donc des hétéros – veillent sur vous avec amour, joie et paix. »
Samedi 3 décembre, les sœurs Garde-Cuisses, Youtopia, Minima et Maria-Sophia participent à un événement public organisé par l’association de lutte contre le VIH, Aides, à la Fabrique de la solidarité, dans le 2e arrondissement de Paris. Au programme : des tables rondes, un stand de prévention, une exposition d’archives sur l’épidémie de sida… mais aussi, pour clôturer la prise de parole d’élus et de représentants associatifs, une « bénédiction » des Sœurs de la perpétuelle indulgence.
« On ne sert à rien mais on est bonnes à tout ! », résume Youtopia en guise de présentation et avec l’humour (souvent grivois) qui caractérise les sœurs. Cornette blanche, chaussures compensées à semelle argentée, robe à sequins rouges et bas résille, colliers de perles en toc, visage peint en blanc, barbe de trois jours… Youtopia se prénomme en réalité Laurent. Depuis maintenant une douzaine d’années, ce graphiste de 48 ans fait partie de ce mouvement militant LGBT+ (lesbienne, gay, bi, trans…) qui mixe les codes de l’univers fantasque des drag-queens et l’imagerie ecclésiastique. Les missions des sœurs sont plurielles : écouter, apaiser, informer…, le tout, enrobé de beaucoup de rires.
« Que ces saintes illuminent vos strings, slips, culottes et caleçons jusqu’au bout de la nuit et pour les siècles des siècles. Amen, awomen et ainsi sois-toi », poursuit sur scène Garde-Cuisses, entourée de ses trois acolytes.
« Expier la honte »
Le mouvement est né à San Francisco (Californie), en 1979. Un jour, quatre amis homos décident de sortir habillés en nonnes dans Le Castro, le quartier gay de la ville. Le succès est immédiat. Garçons et filles accourent auprès de ces drôles de personnages et commencent, mi-sérieux mi-amusés, à se « confesser ». Immédiatement, il apparaît évident que les membres de la communauté ont besoin d’oreilles bienveillantes. A l’époque, l’homophobie est encore très prégnante – l’Association américaine de psychiatrie n’a rayé l’homosexualité de sa liste des maladies mentales que depuis six ans, en 1973. Le premier « couvent » est fondé, qui repose alors sur deux vœux : promulguer la joie omniverselle et expier la honte et la culpabilité stigmatisantes. Le concept plaît et essaime : aujourd’hui, il existe une centaine de « couvents » à travers le monde.
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