Comment Act Up a utilisé l'art et les chocs visuels pour mobiliser

Le préservatif géant installé sur l'obélisque de la Concorde par Act Up en 1993
Le préservatif géant installé sur l'obélisque de la Concorde par Act Up en 1993
Comment Act Up a utilisé l'art et les chocs visuels pour mobiliser
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Comment Act Up a utilisé l'art et les chocs visuels pour mobiliser

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Figure médiatique de la lutte contre l'invisibilisation des personnes séropositives, Act Up a beaucoup utilisé l'art et le visuel dans ses actions dans l'espace public. Trois décennies d'"activisme culturel" que retrace l'exposition au Mucem "VIH/sida", jusqu'au 2 mai 2022.

Ils ont mis un préservatif géant sur l’obélisque de la Concorde, ont recouvert de faux sang la façade de Matignon, mais ils ont surtout donné la parole aux séropositifs. Avec un sens aigu de la dramaturgie et de l’image, Act Up a bouleversé les pratiques militantes dans les années 1990 en associant l’art à l’activisme.

Paris, 26 juin 1989, lors du défilé de la Gay Pride, plusieurs séropositifs font un “die in”: ils s’allongent en même temps dans la rue pour mimer la mort.
Ils appartiennent à la nouvelle antenne d’Act Up, tout juste créée à Paris, inspirée de l’association new-yorkaise créée en 1987. Signe distinctif : ils arborent le même T-shirt noir sur lequel est écrit "Silence = Mort".

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À l'origine de ce slogan, un collectif d’artistes new-yorkais, Gran Fury, affilié à Act Up, qui détourne des slogans commerciaux pour en faire des messages forts.

Une identité visuelle forte

Christophe Broqua, socio-anthropologue : "À l’origine Act Up New York a collaboré avec des artistes graphiques. C’est ce qu’on a appelé l’activisme culturel. Cette participation d’artistes à un mouvement activiste a été beaucoup reprise en France. Le travail d’Act Up étant avant tout un travail sur les représentations publiques de l’épidémie : l’idée était de changer l’image des personnes vivant avec le VIH, du sida lui-même, mai aussi des groupes sociaux touchés par ce virus."

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Le 1er décembre 1989, Act Up Paris fait de nouveau l'ouverture des journaux télévisés après avoir accroché une banderole sur la cathédrale Notre-Dame pour dénoncer les propos de l'Eglise sur le préservatif.

Christophe Broqua : "Didier Lestrade, l’un des trois fondateurs de l'association, l’a expliqué lui-même, l’idée était de vendre Act Up aux médias comme on leur vendait à eux des produits culturels dans  le cadre de leur activité journalistique. Dès l’origine, ils ont veillé à ce que les actions produites, comme tout le matériel militant, puissent faire l’objet d'images intéressantes pour les médias.

L’association développe une identité visuelle forte, avec un code couleur simple et efficace : noir, blanc, rouge et rose. Des banderoles écrites blanc sur noir, synonyme d’urgence politique et d’imagerie funèbre. Cette symbolisation de la mort passe aussi par des manifestations avec de faux cercueils et par les “die-in”.

Christophe Broqua : "Le die-in permet des blocages, il peut compliquer les arrestations. Il a aussi un intérêt symbolique puisqu’il s'agit de mimer la mort mais de s’en départir, une fois qu'on se relève. Il y a un grand moment de silence, puis dès que le die-in s’achève, il y a du vacarme. C’est un mode d‘action repris aujourd’hui par beaucoup de groupes militants.

"Inverser les stigmates"

L’imagerie d’Act Up passe par les T-shirts imprimés par l’association, qui sont à la fois marqueurs d'identification, messages ambulants et source de revenus.

Ils reprennent le triangle rose imposé aux déportés homosexuels dans les camps de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale dont ils changent le sens, “pour inverser le stigmate”. Enfin l’utilisation du rouge symbolise le sang contaminé par la maladie et la lutte politique. Le rouge est employé pour colorer les fontaines lors des manifestations, pour asperger de faux sang des responsables de laboratoires pharmaceutiques ou sur des affiches, qui rappellent celles de l'artiste Barbara Kruger.

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L’activisme visuel passe par les coups d’éclats dans l’espace public, comme le préservatif géant déroulé sur l'obélisque de la Concorde. Il passe aussi par des “happenings” que les militants d'Act Up nomment “zap”, action éclair de protestation spectaculaire en réaction à une déclaration politique. Il y a aussi les mises en scènes théâtrales, qui peuvent rappeler l’avant-garde situationniste, comme lors d’un faux mariage entre deux femmes à la cathédrale Notre-Dame en 2005.

Poil à gratter militant, association “la plus turbulente de France”,  Act Up Paris a permis de donner une voix aux séropositifs au plus fort de l’épidémie, quitte à s'attirer de nombreuses critiques, notamment lorsque l'association a révélé l'homosexualité de certaines personnalités politiques.

Entre 1983 et 1995, on estime que 30 000 personnes sont mortes du Sida en France.

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