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Progressiste, militante et surtout discrète… Bienvenue à la "mosquée" LGBT de Marseille
Ludovic-Mohamed Zahed, Zahed, 44 ans, également créateur des associations « Homosexuel-le-s musulman-e-s de France » (HM2F) et « Musulman-e-s progressistes de France » (MPF), par ailleurs à l’origine de la première mosquée « inclusive » de l’Hexagone.
© John MACDOUGALL / AFP

Progressiste, militante et surtout discrète… Bienvenue à la "mosquée" LGBT de Marseille

Islam arc-en-ciel

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Il y a deux ans, Ludovic-Mohamed Zahed, premier imam ouvertement homosexuel de France, ouvrait l’institut Calem dans les quartiers nord de Marseille. Ce lieu modeste, « ouvert à tous » multiplie les activités dans une discrétion révélatrice des risques que prend son fondateur.

L’institut Calem a élu domicile au cœur des quartiers nord de Marseille, non loin des barres de béton qui hérissent le paysage, en 2019. Ses 150 mètres carrés regroupent une petite maison d’édition, un espace dévolu à des « formations islamiques progressistes », une salle de prière polyvalente décorée à l’orientale et équipée de lits superposés pour une demi-douzaine de personnes, ainsi qu’un bureau partagé avec d’autres associations.

Son rôle ? « L’interprétation inclusive de l’éthique religieuse », doublée de l’accueil de « réfugié-es LGBT+ » et de toute personne dans le besoin. « Ce n’est pas une mosquée », insiste son fondateur, l’imam Ludovic-Mohamed Zahed lorsqu’il nous reçoit, barbe rase et cigarette électronique en main, dans une courette traversée d’une poutre sur laquelle on peut lire « Calm, Beauty, Nature, Serenity, Happiness, Pure ».

Rien, sur la sonnette, ne permet d’identifier la raison sociale d’un lieu dont, nous dit-on, « l’adresse doit rester secrète ». Et pour cause : Zahed, 44 ans, également créateur des associations « Homosexuel-le-s musulman-e-s de France » (HM2F) et « Musulman-e-s progressistes de France » (MPF), par ailleurs à l’origine de la première mosquée « inclusive » de l’Hexagone, tranche avec certains imams d’un quartier où les rues sont désertes à 20 h en période de Ramadan.

Encouragements et menaces

En 2018, quelques mois avant l’installation de Zahed, l’imam El Hadi Doudi faisait encore des prêches radicaux à la mosquée Consolat, qui lui ont valu d’être expulsé du territoire. « On peut dire qu’un imam salafiste a été remplacé par un imam progressiste. C’est la théorie du grand remplacement ! », plaisante Zahed. Reste que la mosquée salafiste de Consolat poursuit ses activités en dépit d’un arrêté de fermeture, et l’on imagine sans mal que nombre de ses adeptes verraient ce voisinage d’un mauvais œil. C’est dire à quel point, ici plus qu’ailleurs, les activités de Ludovic-Mohamed Zahed sont risquées.

« J’ai reçu des menaces au début, sur les réseaux sociaux, souffle-t-il de sa voix posée. Mais il y a eu surtout des messages d’encouragement ». Natif d’Alger, venu en France avec sa famille à l’âge de 17 ans, ce docteur en anthropologie diplômé de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) se dit serein. « Depuis, ça se passe bien, note-t-il. Ceux qui savent qu’on est là ne s’estiment pas dérangés, et ils nous acceptent. Certains viennent aussi échanger. »

Son credo ? « Parler de discrimination à l’intérieur de communautés qui se disent discriminées ». Le site internet de l’institut Caleb précise : « Quelles que soient vos origines, votre genre, vos convictions religieuses, engagez-vous et rejoignez-nous ! La réforme de l’islam est notre responsabilité collective, inch’Allah ! »

« Communautarisme islamo-gay »

Après avoir ouvert la première « mosquée inclusive » de France à Paris dans le quartier de la Goutte d’Or, Zahed a estimé que Marseille, où il a vécu vingt ans plus tôt, était idéale pour pareil projet. « Le réseau underground intersectionnel y est très développé », souligne cet imam d'abord marié à un homme en Afrique du Sud et depuis divorcé.

Quelle est chez lui l’influence des théories intersectionnelles chères à une certaine gauche américaine ou américanisée ? « C’est plus de l’ordre de l’organisation du militantisme. Je lutte en faveur de la laïcité républicaine. Il n’y a pas de lois de l’islam susceptibles d’être au-dessus des lois de la République, car l’islam n’a pas de lois. C’est une spiritualité », explique Zahed, qui a choisi de s’appeler Ludovic à 20 ans, lorsqu’il a obtenu la nationalité française. « Le prénom est un outil pour s’intégrer », estime-t-il.

Parfois taxé de « communautarisme islamo-gay » par des militants associatifs locaux, celui qui défile à la Pride de Marseille réfute ces accusations. « Mon combat est universaliste, déclare-t-il. Les discriminations, quelles qu’elles soient, ne sont pas le seul fait du fascisme islamiste, mais de tous les fascismes et autoritarismes. Le peuple doit être éduqué, c’est la racine de la liberté ».

« Je dénonce le racisme, l’antisémitisme, les inégalités hommes-femmes, les inégalités sociales, poursuit Zahed. J’appartiens à plein de communautés, et je reste libre, parce que je distingue la notion de communauté du communautarisme. Nous sommes une petite minorité et il serait contre-productif de rester entre nous. On travaille avec toutes les associations, des syndicalistes, le Festival de danse et des arts multiples de Marseille. »

Difficile dialogue

Si les réseaux sociaux de l’institut Calem partagent des articles de médias comme la BBC critiques vis-à-vis de Charlie Hebdo, on y relève d’autres publications reprenant des caricatures du magazine satirique. « Un peu d’humour. Les victimes de Charlie et de l’Hyper Cacher nous manquent terriblement ! N’oublions pas que le problème, c’est l’idéologie fasciste, qu’elle soit religieuse, nationale-socialiste, communiste, ou même soi-disant "démocratique" », tempère-t-il.

Là encore, Zahed se veut clair : « Je me reconnais pleinement dans la caricature "Dur d’être aimé par des cons’". Charlie a totalement le droit de dessiner ce qu’il veut ! » À l'inverse, « la religion doit être cadrée », juge l'imam, pour qui « la loi sur le séparatisme ne va pas assez loin » : « Quand je vois que des livres de "penseurs islamistes" prêchant la haine sont en vente libre, je me dis qu’il y a beaucoup à faire. » Ces livres, Zahed les a connus quand, adolescent, il suivait un enseignement salafiste à Alger. Puis, prenant conscience de l’impossibilité d’y assumer son homosexualité, il a rompu avec la religion musulmane, s’est initié au bouddhisme, puis est revenu à l’islam, avec une approche militante LGBT.

« Rien dans l’islam n’interdit l’homosexualité », explique-t-il, publications à l’appui. Une ligne que nombre de ses confrères imams désavouent : « L’homosexualité est un péché dans toutes les religions, répond à Marianne l’imam Salim Hacene Blidi, qui gère une importante mosquée marseillaise. Ludovic Zahed, qui n’est pas théologien, détourne les textes. C’est aussi néfaste que l’imam de Brest expliquant qu’écouter de la musique transforme les gens en cochons ». On le voit, le dialogue semble difficile.

Soutien international

Cet adepte du reiki [méthode de soins japonaise par imposition des mains] et de l’art-thérapie a adopté d’autres positions tranchées. « Ceux qui oppriment l’Algérie depuis 1962 ont fait bien pire que tous les colons en un siècle », martèle Zahed. Face à l’actuel mouvement de contestation algérien, il se dit aussi « solidaire » que « désabusé ». « Les élites corrompues restent au pouvoir. Impossible pour moi de retourner en Algérie : je risque dix ans de prison pour promotion de l’homosexualité », déplore-t-il.

Autofinancé, l’institut fonctionne sans subventions. « J’ai rencontré Michèle Rubirola [maire de Marseille entre juillet et décembre 2020] pendant la campagne des dernières municipales, et l’adjoint en charge des questions LGBT, se souvient-il. Tous m’ont dit : "On veut vous aider". Mais pour l’instant, rien ne vient. Le soutien dont nous bénéficions vient plutôt de l’international, des Nations Unies notamment. »

Ce qui n’empêche pas son action d’être reconnue par l’État. Chaque année, Ludovic Zahed participe à la réunion du bureau des cultes sous l’égide du préfet. « Les premières fois, les représentants du Conseil français du culte musulman ne m’adressaient pas la parole. Et puis ça s’est arrangé. Mais notre désaccord ne porte pas que sur la seule question de la sexualité ». La suite ? « Je reste optimiste », sourit-il.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne