VIHPourquoi il ne faut (toujours) pas dire "clean" quand on parle du VIH

Par Timothée de Rauglaudre le 05/12/2019
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Netflix France a été pointée du doigt pour avoir utilisé le terme "clean" pour parler de la sérologie d'un personnage d'EastSiders. Ce terme, encore très répandu sur les applis, est un vrai problème. Voilà pourquoi.

C'est une courte scène qui a beaucoup fait réagir. Ce week-end, Netflix dévoilait la nouvelle saison d'EastSiders, deux ans après la saison 3. Dans l'épisode 3, Thom, un des personnages principaux de la série, qui est écrivain, rencontre Clifford, qui deviendra par la suite son éditeur. Assis sur un lit, les deux jeunes hommes discutent de pratiques sexuelles et d'infections sexuellement transmissibles. Clifford demande à Thom : "Tu es sous PrEP ?" Dans la version américaine, le jeune écrivain répond "Tested three times a month" ("Dépisté trois fois par mois"). Pourtant, les sous-titres français ont, dans un premier temps, traduit cette réponse par une autre phrase qui n'a rien à voir : "Je suis clean."

Depuis, Netflix a rectifié la traduction avec une réponse plus proche de la phrase originale, comme l'a raconté TÊTU. Mais deux jours auront suffi à déclencher la colère de certains internautes sur Twitter. « Les mots ont un sens (et peuvent blesser)« , tweete Sébastien Tüller, responsable des questions LGBT+ chez Amnesty France. L’association AIDES parle, de son côté, de « traduction sérophobe". "C’est désespérant de traduire ça en 2019", commente Fred Colby, activiste et séropositif. "Je suis pas séropositif et jamais il me viendrais à l’idée de répondre « clean »", ajoute un autre twittos.

"On prend ça en pleine figure"

Ce n'est qu'une phrase de trois mots dans une série. Mais ce genre de réflexe provoque chez certains, qui entendent cette expression au quotidien, plus que de l'agacement. À l'image de Philippe, 44 ans, auteur d'un blog intitulé "Vi(h)avant", qui se sait séropositif depuis dix ans. Dix ans durant lesquels, selon lui, le regard de la société sur le VIH a peu changé. Fréquemment, sur les applis de rencontres comme Grindr, revient la même question : "T'es clean ?" Une question qui continue à le blesser. "On prend ça en pleine figure, c'est d'une puissance qu'on ne maîtrise pas. Ce mot renvoie à deux choses. Il est dégradant et décrit une personne de manière repoussante. Mais il y a autre chose : on a plus de mal à l'entendre aujourd'hui parce que la réalité médicale est différente."

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En effet, une personne séropositive correctement traitée a aujourd'hui une charge virale indétectable, et donc un risque nul de transmission du virus. "Le message qu'on essaie de faire passer du I = I (indétectable = intransmissible, ndlr) a énormément de difficultés à être diffusé dans nos communautés et dans la population générale", regrette Aurélien Beaucamp, président d'AIDES. Pour améliorer l'information sur le sujet, l'association a tenté d'appeler les pouvoirs publics à une grande campagne nationale, diffusée au-delà de la seule population concernée. En vain.

Sérotriage

Alors, ce travail d'information incombe aux personnes concernées elles-mêmes. "Certaines personnes préfèrent dirent qu'elles sont sous PrEP plutôt que de dire qu'elles sont séropositives, raconte Aurélien Beaucamp. Elles se sentent moins jugées." Une manière de s'épargner un travail pédagogique éreintant mais aussi de se préserver face à la violence de certaines réactions. Et d'éviter le "sérotriage", c'est-à-dire l'attitude consistant à n'avoir de relations sexuelles qu'avec des personnes supposées séronégatives. Philippe l'a déjà fait. "On ne peut pas systématiquement tout expliquer", soupire-t-il.

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Sur Twitter, Philippe a été surpris de voir la réaction de certains internautes, demandant en toute sincérité en quoi le mot "clean" était sérophobe. Passé l'explication, les préjugés tombent. "Je suis persuadé que la majorité des gens l'utilisent sans se rendre compte que ce n'est pas une belle expression. Il y a certes une petite proportion de personnes qui savent très bien et qui le font de manière provocatrice, là il n'y a rien à faire. Quelque part, cette expression me protège contre le fait de rencontrer ces gens-là." Autre surprise : l'effort de pédagogie réalisé par certaines personnes non concernées. "Ça fait plaisir de savoir qu'il y a des séronégatifs qui ont compris le message, poursuit le quadragénaire. Il y a des jours où on en a un peu ras-le-bol d'expliquer."