En 2022, on ne peut plus être contre la PrEP!

On connaissait déjà les prises de position contre la PrEP du professeur Éric Caumes. Il va plus loin dans un entretien à l’Express publié le 23 octobre dernier, en promotion de son livre, «Sexe, les nouveaux dangers»: non seulement les hommes qui ont des rapports sexuels entre hommes auraient «une sexualité débridée», mais ils seraient une menace pour la population générale, pour l’assurance maladie, pour l’Europe en y introduisant les épidémies venues d’ailleurs, ils seraient privilégiés par rapport aux “vrais malades”. 

A aucun moment, Éric Caumes n’explique que la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. recommandée par l’Organisation mondiale de la santé, les Centers for Disease Control américains, et la Haute Autorité de santé en France, lorsqu’elle est correctement prise offre une protection presque totale contre le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. et représente une révolution dans la prévention combinée et la santé sexuelle des HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  Il oublie le fardeau immense du sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. porté par les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) pendant près de deux décennies, jusqu’à l’arrivée des trithérapies, et leur allégement possible à quatre jours sur sept (un progrès dont nous faisons aussi la promotion; une sexualité entravée, une maladie infiniment pénible et douloureuse, des conjoints, des amants, des amis qui meurent semaine après semaine, une vie de deuils et de peur.  

Il oublie que les homosexuels ont été ceux qui ont massivement adopté le préservatif, ont continué à l’utiliser et continuent encore pour certains. Un peu plus de 30000 PrEPeurs en France actuellement, c’est peu au regard de la taille de cette population surexposée, évaluée à plus de 250 000 dans le cadre de la campagne de vaccination en cours contre la variole du singe. On peut voir les courbes de l’incidence des nouvelles infections par le VIH être à la baisse dans les pays, ou les villes (San Francisco, Londres, Nice, Paris, etc.) qui ont réussi à promouvoir la PrEP à grande échelle, parallèlement au dépistage du VIH et des ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  et aux trithérapies pour les personnes infectées. Ces traitements, en rendant le virus indétectable, ont pour effet d’empêcher la transmission du VIH à leurs partenaires, même sans préservatif.  

Pour Éric Caumes, les indications de la PrEP parfaitement définies dans le cadre de l’autorisation de mise sur le marché devraient être réservées aux «hypersexuels», des “irresponsables” qui multiplient le nombre de partenaires à l’infini. Mais même si c’était le cas, on comprend que, pour lui, ce serait quand même une mauvaise chose, «la porte ouverte à l’émergence de nouvelles maladies, à la recrudescence des IST et à la résistance aux antibiotiques». Si on suit Éric Caumes jusqu’au bout de son raisonnement, il faut supprimer la PrEP.  

Certes, la PrEP ne protège pas du tout contre les infections sexuellement transmissibles (IST) et son usage va augmenter les rapports sans préservatif, mais avec une protection plus élevée contre le VIH. Plusieurs études le montrent dans le monde, comme les essais ANRS IPERGAY et PREVENIR en France. Mais cette évolution ne date pas de la PrEP. Elle a commencé bien avant, dès la fin des années 1990, et c’est justement parce qu’il a été constaté une forte augmentation des IST chez les HSH que les soignants ont pris conscience qu’il y avait urgence à agir. D’abord pour qu’ils ne contractent pas le VIH. 

Et quand on sait qu’on dispose d’un médicament qui protège à presque 100% de l’infection par le VIH lorsqu’il est pris correctement, il paraît incompréhensible de ne pas le proposer à ceux qui sont prêts à l’utiliser et de ne pas en faire la promotion. Quand on voit en consultation un jeune homosexuel qui vient d’être contaminé, on ne peut pas s’empêcher de penser «quel dommage qu’il n’ait pas pu bénéficier de la PrEP!». Et souvent, eux-mêmes expriment ce regret. Mais la PrEP n’est pas encore facile d’accès, surtout pour ceux qui ne sont pas dans des réseaux communautaires, qui sont isolés, qui ont du mal à parler de leur sexualité, a fortiori avec un médecin. 

L’autre pan du dispositif de la PrEP est justement de dépister précocement les IST, souvent avant l’apparition de symptômes et de les traiter : toutes les personnes qui sont sous PrEP ont droit à un bilan complet tous les 3 mois. Éric Caumes fait comme s’il ignorait ce dispositif qui existait pourtant dans le service de la Pitié-Salpêtrière qu’il dirigeait avant d’en être écarté notamment à cause de ses prises de positions. Quant à mettre sur le même plan le risque d’une infection à VIH à vie et celui d’une infection bénigne à chlamydiae, résolutive sous antibiotiques… c’est indécent. 

Enfin, comme si ce n’était pas assez, Éric Caumes accuse les PrEPeurs et ceux qui font la promotion de la PrEP d’être sous influence du lobby pharmaceutique, les fameux «conflits d’intérêts» repris dans le sous-titre de l’article de l’Express, ce qui pour un médecin constitue un délit. Ils prendraient l’argent et les médicaments qui pourraient bénéficier aux malades d’Afrique. Les confrères d’Éric Caumes recevraient des centaines de milliers d’euros ; les politiques chercheraient le vote gay et l’ANRS-MIE serait complice. On sombre dans le complotisme. Les liens d’intérêts qui concernent les investigateurs des essais de PrEP1Gilles Pialoux, rédacteur en chef de Vih.org, était investigateur des essais IPERGAY et PREVENIR. sont disponibles sur la base de données du site du ministère de la Santé. Et rappelons ici que lien d’intérêt n’est pas conflit. A-t-on imaginé que les premiers essais avec l’AZT montrant l’effet majeur de cette molécule sur la mortalité liée au sida aient pu être dénoncés au registre qu’ils étaient soutenus par le laboratoire concerné? 

N’en déplaise à Éric Caumes, la PrEP, qui protège d’une maladie grave et à vie, est gratuite et ce n’est que normal. Elle est, qui plus est, coût-efficace dans la population cible, et encore plus grâce aux génériques. Elle devrait être bien plus utilisée, non seulement par davantage de HSH mais aussi par les autres populations exposées, les personnes qui n’ont pas toujours la possibilité d’imposer le préservatif, notamment les femmes et les travailleurs et travailleuses du sexe. Et plus généralement, par toutes les populations vulnérables, ailleurs dans le monde, où l’épidémie sévit de façon gravissime : au nom de quoi une innovation médicale efficace à plus de 90% ne serait pas accessible? 

Quant à l’opposition entre une recherche pour «les vrais malades» et les recherches pour soulager ceux qu’une infection grave menace depuis 40 ans, elle est choquante. Avec cet immense effort de recherche, depuis près de 20 ans, le concept de prévention combinée s’est imposé: c’est bien la combinaison de tous les moyens, tous les moyens médicaux mis au point au cours du temps, des services de santé ouverts et accueillants aux minorités sexuelles, qui permettront de réduire l’infection VIH et d’en finir avec le sida. Éric Caumes ne peut pas l’ignorer, en réalité, il ne l’ignore pas, il s’enferme dans son homophobie à peine dissimulée. À moins que son problème ne soit la place prépondérante qu’occupe encore la recherche contre le VIH dans l’espace scientifique, universitaire et politique, nécessaire pour arriver à bout de la pandémie VIH.

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Rappelons que la PrEP n’est pas réservée aux HSH et qu’elle est «recommandée chez les adultes et les adolescents (de plus de 15 ans) exposés à un haut risque de contracter le VIH», selon la Haute autorité de santé. Vih.org suit l’activité de la PrEP et les progrès de la prévention biomédicale :