EHPAD - L’affaire ORPEA suscite une envolée médiatique et des débats sur tous les plateaux télévisés où les politiques, les professionnels, les journalistes se bousculent; débats où l’on ne voit jamais la présence d’un seul vieux !
Un tout petit vieux, une toute petite vieille qui pourrait dire timidement ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas… Il ou elle ne prendrait pas beaucoup de place, après tout c’est de sa vie dont on parle…
Comment l’arbre cache la forêt…
Mais non, rien! Les vieux, on ne les voit pas.
Certains vont vous dire, “Je suis personnellement concerné”, ce qui sous-entend qu’ils ont cherché “une place” pour leur mère ou leur père.
Imaginerions-nous un seul instant un plateau dont le sujet est le féminisme, sans la présence d’une seule femme? Mais pour les vieux, c’est normal… Ils ne peuvent pas parler.
Il est facile à l’occasion d’un livre qui dévoile un scandale de se redonner une virginité et de passer le costume du justicier, de désigner les coupables de telles ignominies, de faire telle où telle proposition sans rien comprendre au sujet. Tout le monde à quelque chose à dire.
Mais si les faits dénoncés ont pu se produire, c’est avant tout parce qu’on a laissé faire. Parce qu’on a fermé les yeux et considéré que ce n’était pas un sujet prioritaire. Parce que les vieux ça n’intéresse pas grand monde.
Les vieux ce n’est pas sexy!
La vieillesse n’a pas bonne presse. Depuis que De Gaulle l’a qualifiée de naufrage, on a un regard dépité et anxieux sur cette période de notre vie.
Les vieux ce ne sont pas les autres, comme ont tendance à le croire tous ceux qui parlent au nom des vieux. Les vieux, c’est nous demain ou après-demain.
Mais comment s’identifier à des personnes qui représentent les contre-valeurs de notre société: improductifs, lents, inadaptés, laids, faibles, fragiles… Notre société a sacralisé l’efficacité, la jeunesse ou du moins son apparence, la vitesse, l’indépendance, la réussite individuelle.
Parler de notre vieillesse? C’est impossible. Je suis jeune, toujours jeune, encore jeune et la perte d’autonomie un triste moment à passer, une fatalité. Nous avons même développé une tolérance à la violence faite aux vieux comme quelque chose d’inexorable.
Le mot vieux est devenu imprononçable on préfère nous donner du: nos anciens, nos aînés… toujours accompagné d’un possessif qui marque bien la perte de notre singularité, puisqu’on n’existe que par notre appartenance à d’autres.
On maintient ainsi notre vieillesse, très loin de nous par peur d’être contaminés: les vieux, ce sont les autres.
Une société qui n’aime pas ses vieux ne peut pas construire un environnement bienveillant.
Nous avons ce que nous méritons. La prise en charge des vieux par la collectivité est un phénomène récent. Elle trouve sa source dans les lieux confessionnels qui par charité ont créé des asiles pour les indigents, puis la puissance publique s’en est préoccupé. Le mouroir de Nanterre, ce n’est pas si loin de nous.
La solidarité nationale a donc mis en place des revenus minimums pour les retraités et des lieux pour répondre aux besoins primaires : manger, dormir et soigner les plus malades.
Le décor a changé, les normes aussi, mais la logique n’a pas changé. Les vieux sont progressivement réduits à l’état d’objets de soin à protéger.
On les occupe en créant des activités, mais on ne les considère plus comme des personnes avec leurs émotions, leurs désirs, leur histoire… l’occupationnel et l’hygiénisme ne laissent plus de place à l’existentiel. Les droits sont graduellement réduits et la liberté des individus ignorée.
Un apprentissage en douceur de notre mise à l’écart
La vieillesse est toujours collée à la dépendance. Pour moi la vieillesse démarre beaucoup plus tôt: dans le changement de contrat social. Nous passons de l’âge de la production à l’âge de notre prise en charge tout d’abord financière.
Passer à la retraite est un moment que beaucoup ne savent pas gérer. Souvent, la perte de son rôle social et de sa représentation sociale est vécue comme un effondrement personnel. C’est bien compréhensible, on nous a préparé, formé pour jouer notre partition dans le monde des actifs, mais rien pour nous préparer à ce moment de notre vie.
Pourtant, nous retrouvons notre liberté de temps, notre liberté d’expression, la possibilité de transmettre notre expérience, de s’engager, de réparer ce que nous n’avons pas su faire auparavant. Mais tout cela n’a aucune valeur dans le regard de nos familles ou de nos concitoyens. Au contraire, nous faisons l’apprentissage de notre inutilité, d’un corps non désirable de notre inadaptation, de notre poids social, de notre lenteur et de notre isolement.
Ainsi, nous tolérons peu à peu l’intolérable:
Notre sexualité est ridiculisée ou considérée comme inappropriée, nos choix de vie sont peu à peu mis en doute, nos projets considérés comme sans importance et notre citoyenneté disqualifiée. Nous apprenons à nous taire et à accepter l’inacceptable. D’ailleurs n’avons-nous pas procédé de la même façon avec nos parents?
Les Ehpads: la partie visible de l’iceberg
Les Ehpads ne sont que l’ultime résultat de ce rejet de la vieillesse: se préoccuper des aspects sanitaires et médicaux des individus.
Qui se préoccupe de notre accès aux droits, de notre accès à la culture, aux loisirs, de notre rôle social et de notre vie dans la cité?
La numérisation de tous les services (administratifs et autres) s’est faite sans prendre en compte les 3 millions de vieux qui n’ont pas accès au numérique.
Les villes se transforment sans prendre en compte les spécificités des vieux: bancs, toilettes, transports…
Les services fondamentaux deviennent peu à peu inaccessible en raison de la suppression de tous les guichets physiques: banque, assurance, électricité, mairie…
Vous n’arrivez plus à faire vos démarches? Vous devenez incompétents!
Inutile de vous dire que si vous avez le moindre problème physique, vous êtes bien préparés à finir votre vie dans un Ehpad.
Les vieux et futurs vieux doivent prendre la parole!
Si nous avons délégué aux politiques, au monde médical, et maintenant au monde de l’entreprise à but lucratif le soin d’organiser l’accompagnement des vieux, c’est parce que nous n’avons pas voulu nous impliquer comme les bénéficiaires des dispositifs et des lois mis en place et qui impactent notre façon de vieillir.
Fini le silence, si nous voulons que les choses changent.
Je suis vieux, je suis vieille et rien de ce qui concerne ma vie ne peut se faire sans mon avis. Je veux participer à la construction d’un environnement qui concerne ma vieillesse.
L’habitat est clairement un des sujets prioritaires. Habiter seul ou dans un lieu collectif, c’est le choix que l’on nous donne, mais un habitat à taille humaine, qui permet à des vieux de se regrouper en se cooptant ne devrait-il pas être favorisé?
La vieillesse n’est pas un marché. Ne nous laissons pas enfermer dans une offre qui ne nous correspond pas.
Le scandale ORPEA ne doit pas masquer le contexte global dans lequel nous vivons et la place que l’on nous donne dans la société. Vivre et vieillir selon nos choix: ce n’est pas négociable.
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