Elle est apparue un jour d’avril 1996 sur les écrans de la télévision espagnole, une robe rouge fendue jusqu’à l’entrejambe, ses seins nus floutés soutenus par des lacets, les yeux surlignés de noir et les lèvres pulpeuses peintes de rouge. Immense sur ses talons aiguilles, telle l’incarnation du personnage animé de Jessica Rabbit, elle a souri à la caméra, beauté provocante, puis elle a raconté avec des mots crus, un accent andalou et une spontanéité décomplexée les secrets de son corps sculptural, avant de s’engouffrer dans une voiture qui avait freiné 2 mètres plus loin, dans une allée du Parque del Oeste, à Madrid.
Cristina Ortiz (1964-2016), dite « La Veneno » (« le poison »), découverte par une reporter en quête de sujets chocs pour le polémique programme de télévision « Esta noche, cruzamos el Mississippi », a immédiatement fasciné les Espagnols. A tel point que cette prostituée transsexuelle s’est convertie en invitée régulière de l’émission à scandales sur la chaîne Telecinco.
Pour des centaines de personnes trans qui n’osaient alors pas s’exprimer, elle est devenue une icône qui leur a donné le courage d’assumer leur identité. Et, devant des milliers d’autres téléspectateurs qui ne voyaient en elle qu’une « freaky », elle a tout dévoilé de son intimité et des souffrances d’une femme née homme dans un village du sud profond de l’Espagne franquiste.
Une figure politique
Pour lui rendre hommage – et justice –, deux jeunes réalisateurs espagnols à la mode, le couple Javier Calvo et Javier Ambrossi, talentueux héritiers de Pedro Almodóvar surnommés « les Javis », ont décidé de porter à l’écran Digo ! Ni puta, ni santa. Las memorias de La Veneno, la biographie écrite par la journaliste trans Valeria Vegas.
« “La Veneno” était notre icône : elle était fondamentalement imparfaite, contradictoire, avait une façon incorrecte de s’exprimer, mais elle a eu la force de dire, dans la télévision des années 1990, que sa mère ne l’aimait pas, qu’elle avait été battue par des jeunes dans son village et qu’elle se prostituait parce que la vie ne lui avait pas donné d’autres choix, et cela en fait une figure politique », raconte Javier Ambrossi, qui, en 2016, avait été à la présentation du livre de Valeria Vegas, que « La Veneno », illettrée, lui avait dédicacé d’une croix.
« Cette biographie possédait tout ce que nous voulions raconter dans nos films : la question de l’identité, l’hommage à la culture et à la télévision des années 1990, la complexité de l’enfance et des liens familiaux, la difficulté de conserver l’amour de la mère pour la communauté LGBTI. Il y avait de l’humour, du drame et de l’épique. Et on s’était promis de réaliser un biopic de “La Veneno” un jour. »
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