CENSUREUn film progressiste de Netflix déclenche un tollé en Egypte

Alcool, tromperies et homosexualité… Un film Netflix déclenche une tempête en Egypte

CENSUREUn avocat égyptien a saisi le ministère de la Culture pour faire « interdire « Ashab wala Aaz », remake de « Perfetti Sconosciuti », disponible sur Netflix
Nadine Labaki, Georges Khabbaz, Diamand Abou Abboud, Adel Karam, Mona Zaki, Eyad Nassar et Fouad Yammine dans la première production panarabe de Netflix « Ashab wala Aaz ».
Nadine Labaki, Georges Khabbaz, Diamand Abou Abboud, Adel Karam, Mona Zaki, Eyad Nassar et Fouad Yammine dans la première production panarabe de Netflix « Ashab wala Aaz ».  - Rudy Bou Chebel /Netflix  / Netflix
20 Minutes avec AFP

20 Minutes avec AFP

Netflix voulait frapper un grand coup avec sa première production panarabe Ashab wala Aaz, « Les amis du monde » en arabe. Objectif atteint : en Egypte, le plus peuplé des pays arabes, certains s’agitent pour le bannir et les autres se pressent pour le voir.

C’était la sensation attendue du début d’année : le film réunit des acteurs connus du Liban et d’Égypte, les deux mastodontes de la pop culture arabe. Et il est le remake d’un long-métrage italien à succès, Perfetti Sconosciuti – dont la version française, Le jeu, a déjà fait un carton sur la plateforme en ligne.

Trois jours après sa sortie, Ashab wala Aaz, qui raconte un jeu entre amis qui tourne mal, figure en tête des dix films les plus regardés sur Netflix dans le monde arabe.

Un film qui « vise à briser les valeurs familiales », selon un député

Il n’empêche, en Egypte, un avocat a saisi le ministère de la Culture et le service de la censure pour faire « interdire » un film qui, dit-il, « vise à briser les valeurs familiales », et le très zélé député Moustafa Bakri a réclamé une session extraordinaire du Parlement pour se pencher sur la question.

L’histoire est celle de trois couples, deux Libanais, un Egyptien, qui se retrouvent pour un dîner arrosé. Au cours de la soirée, ils acceptent de se prêter à un jeu : mettre leur portable sur la table et partager chaque message ou appel avec l’ensemble du groupe. Des épouses découvrent des maîtresses, des amis des trahisons, des maris des liaisons et le groupe que l’un d’eux est homosexuel, dans un quasi-huis clos.

Moustafa Bakri, lui, assure avoir scruté chaque plan. Résultat ? « Il y a plus de vingt scènes pornographiques », assène-t-il, alors qu’aucune scène érotique, pas même un baiser, n’apparaît dans le film, que Netflix interdit aux moins de 16 ans pour son langage grossier.

Le député, qui s’érige régulièrement en gardien des mœurs, est allé sur tous les plateaux des talk-shows les plus suivis du pays de 102 millions d’habitants pour réclamer rien moins que l’interdiction pure et simple de Netflix en Egypte.

« Défendre l’homosexualité »

Le délit de Ashab wala Aaz ? Montrer un père discuter avec sa fille de sa première relation sexuelle, après la découverte de préservatifs dans son sac par sa mère, et « défendre l’homosexualité alors que nous sommes une société orientale » , accuse Moustafa Bakri.

« Il y a une différence entre ne pas dénoncer un phénomène et l’encourager », répond la critique de cinéma Tarek al-Chennaoui, dans un pays où l’homosexualité n’est pas expressément prohibée mais où la répression des personnes LGBTQ s’est accrue depuis l’élection du président Abdel Fattah al-Sissi, en 2014.

Une femme concentre toutes les critiques

Et surtout, plaide Tarek al-Chennaoui, le cinéma égyptien n’a jamais été frileux. Il y a près de vingt ans, le public se ruait dans les salles pour Sahr el-Layali, « Nuits blanches » en arabe, l’histoire de quatre couples qui se déchirent après un dîner entre amis avec, au menu, impuissance masculine, adultère et écart entre classes sociales.

Plusieurs films égyptiens, dont L’Immeuble Yacoubian, adapté du roman d’Alaa Al-Aswani, ont par ailleurs déjà traité de l’homosexualité de manière explicite.

Et, comble de l’ironie, en 2016, le prix du meilleur scénario au Festival du film du Caire était désigné à… Perfetti Sconosciuti !

Mais dans un pays où conservatisme et lecture rigoriste de l’islam n’ont cessé de progresser, une femme concentre toutes les critiques : l’unique actrice égyptienne de Ashab wala Aaz, Mona Zaki.

« C’est un film courageux et original »

A l’écran, elle joue une femme tiraillée entre une belle-mère qui la méprise et un mari qui ne la touche plus. A la ville, les internautes réduisent l’actrice, qui jouait justement dans Sahr al-Layali aux côtés de son mari Ahmed Helmi à leurs débuts, à son seul statut d’épouse.

Plutôt que de s’adresser à elle, ils interpellent Ahmed Helmi, l’un des acteurs égyptiens les plus célèbres qui, lui, n’est pas au casting de Netflix.

« Comment a-t-il pu autoriser sa femme à jouer ce rôle ? », écrit l’un. D’autres vont plus loin encore et lui demandent de la répudier immédiatement.

« C’est un film courageux et original », rétorque sur Facebook Khaled Ali, grande figure de la gauche égyptienne. « Tout ce dont il parle existe bel et bien dans nos sociétés, n’en déplaise à ceux qui préfèrent l’ignorer, se taire ou attaquer », conclut-il.

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