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transidentitésFemme trans' et pilote de course : Charlie Martin veut "prouver que c'est possible"

Par Marion Chatelin le 19/07/2019
Charlie Martin

[PREMIUM] À 37 ans, cette femme britannique est la toute première personne trans' pilote automobile professionnelle. Militante LGBT+, elle souhaite désormais visibiliser les personnes transgenres dans le sport. Pour TÊTU, elle a accepté de revenir sur son parcours hors du commun.

Le Mans ? "Le summum de l'ambition", répond Charlie Martin, 37 ans, d'une voix claire et posée. Un circuit "magique et iconique". Pour elle, c'est surtout un objectif de vie. Cette pilote automobile britannique a annoncé son intention de participer à "la plus grande course du monde" en 2018. Mais des négociations trop longues avec les sponsors créant des problèmes financiers auront raison de sa participation en 2019. Qu'importe.

"Je veux y concourir l'année prochaine, absolument. C'est un rêve. Et cela serait incroyable pour la communauté LGBT+." Son horizon ? Être prête pour 2021. Si elle y arrive, elle deviendrait la toute première personne transgenre à faire crisser les pneus sur le légendaire bitume de la piste des 24 Heures du Mans.

Pilote hors norme

Son premier souvenir au Mans remonte à 2001. Alors âgée de 19 ans et passionnée d'automobile et de sport en général, elle s'y rend avec son frère aîné par le ferry, une toile de tente dans le sac. "Nous avons marché durant des kilomètres autour du circuit en regardant les autos rouler. Les pilotes, le public, l'ampleur de la course, l'ambiance... Tout était incroyable, j'étais impressionnée." À l'époque elle suivait de près la pilote Mika Duno, l'une des rares femmes à participer à la compétition, qui est mixte.

Celle qui a grandi dans une famille aimante à Leicester, au nord de Londres, rêvait de devenir pilote de chasse. Mais elle finira par se tourner vers les courses automobiles "vers 22, 23 ans". "J'étais plus vieille que les autres dans le club, j'avais du retard. Mais je rêvais de voitures plus rapides et de grandes courses." À l'époque, elle termine ses études en design et décide d'acheter sa toute première voiture. Elle se lance en 2006 dans un club d'Outre-Manche.

Femme trans' et pilote de course : Charlie Martin veut "prouver que c'est possible"

De courses en courses, Charlie Martin se fait un nom et devient professionnelle. Mais en 2012, elle abandonne tout. Pas par gaité de coeur, mais pour entamer sa transition. Depuis l'âge de sept ans, elle sait qu'elle est une fille et ne peux plus supporter de vivre dans ce corps. Elle fait son coming-out à ses compagnons d'équipe - qui sont également ses deux meilleurs amis - qui la soutiennent à 100%. Même son de cloche du côté de sa famille, "toujours là" pour elle.

Mais Charlie ne reprend pas la course pour autant : "C'était des temps très durs pour moi. Je me disais que je ne serais jamais acceptée dans le milieu des courses automobiles. J'avais peur, j'ignorais comment on allait me traiter", confie-t-elle.

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"Discipline d'hommes"

Elle le reconnaît : les sports automobiles sont une "discipline d'hommes" par excellence. Pourtant mixtes, on dénombre en effet très peu de femmes sur les circuits - la dernière à concourir en Formule 1 remonte à 1992 ! Et ça, la pilote britannique en a bien conscience. "La représentation féminine est très très basse, souffle-t-elle d'une voix amère. Et que dire de la représentation des LGBT+ dans ce sport ? Elle est inexistante !"

Femme trans' et pilote de course : Charlie Martin veut "prouver que c'est possible"
Charlie Martin au volant de sa voiture de course

Mais Charlie Martin n'est pas vraiment du genre à abandonner. Encouragée par ses deux amis, elle se décide à retourner dans son club sans sa voiture, pour y faire son coming-out et "voir la réaction des gens""C'est la chose la plus effrayante que j'ai fait de toute ma vie." Mais c'est aussi certainement une des meilleures décisions que la pilote ait pu prendre. "Toutes et tous m'ont prise dans leurs bras. On me disait que c'était bon de me revoir... Je n'en revenais pas."

Renaissance

Depuis 2013, elle ne quitte plus les circuits. Après deux ans en Angleterre, elle plaque tout pour partir en France et se rapprocher de son rêve des 24h du Mans. "Mes amis me disaient que j'étais dingue de faire ça, que je ne devrais pas le quitter", explique-t-elle. Là encore, Charlie Martin a suivi son instinct. À raison.

En tout, elle passera deux ans à concourir dans l'hexagone. Une nouvelle vie pour la pilote, avec un détail de taille : elle croit enfin en elle. "J'ai conduis mieux que je n'ai jamais conduis. La raison est simple, pour la première fois de ma vie j'ai eu confiance en moi." Et le fait d'être out n'y est pas pour rien.

"J'ai grandi avec l'idée que quelque chose n'allait pas chez moi. Que je n'étais pas normale. J'avais honte. Mais là, j'ai commencé à me dire que rien ne clochait chez moi !"

L'athlète confirme d'une voix apaisée avoir eu l'impression de "renaître" à la vie.

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Donner de la visibilité

La pilote souhaite maintenant prendre un tournant dans sa carrière. "Je veux péter les frontières en sensibilisant les sponsors. Pourquoi pas créer des partenariats avec celles et ceux qui veulent s'engager pour la diversité et l'inclusion dans le sport." Charlie Martin a conscience que son histoire est de celles qu'on aimerait entendre plus souvent. Et la visibilité des personnes trans' et de la communauté LGBT+ est devenu son cheval de bataille.

Elle prend désormais la parole dans les médias et sur les réseaux sociaux pour prouver que c'est possible. Oui, on peut être une femme trans' et être pilote automobile professionnelle. Certaines vidéos de sa chaîne YouTube ont été vues plus de 300.000 fois. "C'est incroyable de me dire que mon histoire peut enrichir les gens. Je reçois de nombreux messages de remerciements, c'est très émouvant." Seul bémol, elle reçoit parfois des messages transphobes sur les réseaux sociaux.

Son prochain objectif ? Se lancer dans la présentation de programmes sportifs à la télévision. Une véritable "opportunité" selon elle, "de rendre le monde du sport vraiment inclusif".

Crédit photo : Paola Depalmas.