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Un amendement a-t-il permis aux athlètes transgenres d’accéder à la compétition de haut niveau en France ?

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Contrairement à ce que croient Fdesouche ou «Front Populaire», l’accès au championnat amateur français d’une joueuse de volleyball transgenre n’a rien à voir avec l’amendement d’un député LREM. Le texte est toujours en attente d’examen au Sénat.
par Jacques Pezet
publié le 14 décembre 2021 à 12h15

Suite à la diffusion d’un reportage de RMC, consacré à l’obtention d’une licence par Nicole, une joueuse de volleyball transgenre, qui lui permet désormais de jouer des matchs en compétition, Pierre Sautarel, le fondateur du site d’extrême droite Fdesouche a accusé le député Raphaël Gérard (LREM) d’avoir menti à CheckNews en laissant entendre que son amendement adopté en mars 2021 visant à «consacrer le principe d’égalité sportive des personnes trans dans la pratique sportive» ne concernait que le sport de loisirs. La revue Front populaire, qui écrivait en mars que «cette mesure purement idéologique pourrait signer l’arrêt de mort du sport féminin», a publié un nouvel article critiquant Libération et affirme que Front populaire avait bien raison quand il évoquait les conséquences d’un amendement voté en mars.

«Pas de consensus scientifique»

La présentation de cet amendement avait fait polémique puisque certaines personnes craignaient qu’il permette aux femmes transgenres de concourir dans les compétitions féminines et éliminer les femmes cisgenres (dont l’identité de genre correspond au genre assigné à la naissance) des podiums à cause d’un supposé avantage lié à leur morphologie. Dans un avis rendu le 16 novembre 2021, le Comité international olympique estime qu’«il n’y a pas de consensus scientifique sur la façon dont la testostérone affecte les performances dans tous les sports» et invite les fédérations sportives internationales à ne plus «fixer un seuil unique de testostérone pour que les femmes puissent concourir dans la catégorie féminine» mais à offrir aux fédérations internationales la possibilité de «fixer des critères d’admissibilité basés sur ce que signifie un avantage déloyal dans leur sport».

Dans un article consacré à la polémique suscitée en mars par l’amendement du député français, CheckNews écrivait que «ce sous-amendement n’aborde aucunement la question des compétitions». L’élu détaillait alors que «cet amendement concerne le sport de loisir et pas la compétition de haut niveau, dont les règles sont instaurées par les fédérations internationales. Cet amendement a très peu de portée normative, pour ne pas dire aucune. Il a simplement pour but de guider les missions des agences régionales du sport pour lutter contre toutes les discriminations, mais absolument pas de définir la politique des fédérations. Il y a une différence entre permettre les entraînements de natation à la piscine du coin entre femmes trans et cis et vouloir réglementer les championnats du monde».

Amendement encore en examen

L’amendement de Raphaël Gérard a-t-il permis à Nicole de jouer en championnat de volleyball féminin ? Pas du tout, puisque la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France, dans lequel il figure, n’a pas encore été examinée par le Sénat. L’amendement ne peut donc pas avoir eu d’effets puisque la loi n’a pas été votée. Joint par CheckNews, Raphaël Gérard rappelle que son amendement n’était que «principiel» et visait à inscrire «l’identité de genre» parmi les discriminations auxquelles pouvaient être confrontés les citoyens dans le sport. Il continue d’expliquer que l’intégration des personnes transgenres dans les compétitions sportives relève des règlements des fédérations.

Dans le cas de Nicole, la fédération de volleyball (FFVB) explique «qu’il n’y a pas de réglementation fédérale aujourd’hui sur le sujet et que la commission médicale travaille dessus. Ce seront des études au cas par cas par des experts». Interrogé par CheckNews, Stéphane Idoine, le président du Chaville Sèvres Volleyball, où s’entraîne Nicole, explique que le club a décidé de demander une licence pour la joueuse parce qu’il la considère comme une femme, au vu de son état civil. Pour obtenir la licence, Nicole a donc fourni les mêmes documents qu’une femme cisgenre, soit une copie de sa pièce d’identité, un certificat médical attestant sa bonne santé, le versement d’une cotisation ainsi qu’une attestation sur l’honneur indiquant qu’elle a bien quitté son ancien club. La FFVB n’ayant aucune réglementation pour les personnes transgenres, rien n’empêchait la joueuse de disputer (et perdre) son premier match avec l’équipe de nationale 2 grâce à l’obtention de sa licence. Stéphane Idoine souligne qu’il s’agit d’un niveau de compétition amateur, «qui n’est pas rattaché à la ligue nationale de volleyball», l’institution gérant les compétitions professionnelles.

La fédération française de volley-ball n’est pas la seule à ne pas avoir de règles claires sur la pratique sportive des personnes trans. «A part le roller derby et le rugby, pour les autres fédérations sportives, c’est le vide juridique», indique Lucie Pallesi, doctorant·e Staps à l’université de Paris-Saclay, spécialiste de l’inclusion des sportifs et sportives trans dans la pratique compétitive de haut niveau. A titre d’exemple, CheckNews a contacté la fédération française de natation, qui indique que «la fédération internationale de natation (Fina) n’a pris aucune position sur le sujet à ce jour. Généralement, les fédérations nationales se basent sur le règlement édité par la Fina. Il y a quelques discussions au sein de notre fédération mais aucun règlement établi pour le moment».

Règlements pour le roller derby et le rugby

Depuis 2017, le roller derby qui dépend de la fédération française de roller sportif (FFRS) dispose d’un règlement indiquant qu’«une personne trans /transgenre /intersexe est libre de choisir de patiner au sein d’un charter féminin ou masculin, indépendamment de son sexe et de son état civil officiel (papiers d’identité, licence, etc.)», ce qui signifie qu’une personne autodétermine son genre et n’a pas besoin de fournir de documents pour participer dans une équipe féminine ou masculine.

A une échelle plus grand public, la fédération française de rugby (FFR) a annoncé «l’inclusion des trans-identitaires au sein de ses compétitions officielles» le 17 mai 2021, à l’occasion de la Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie. Contrairement au roller derby qui pratique l’autodétermination, la FFR restreint l’accès à la compétition à certaines conditions prescriptives médicales et administratives. Pour participer aux compétitions de la FFR, les joueurs et joueuses transgenres doivent être reconnus administrativement dans leur nouveau sexe. Des règles spécifiques existent pour les femmes trans «non opérées» : les joueuses doivent attester qu’elles «suivent un traitement hormonal depuis a minima douze mois» et ne dépassant pas le seuil de 5 nanomoles par litre du taux de testostérone. Ces règles ne s’appliquent pas aux hommes trans qui n’ont pas subi d’opération. Une rugbywoman transgenre est particulièrement connue dans le championnat féminin : il s’agit d’Alexia Cérénys, qui joue depuis 2018 pour le club de Lons en Elite 1, soit la première division.

La rugbywoman professionnelle et la joueuse de volley-ball de nationale 2 repérée par RMC, ne sont pas les seules sportives trans en France, fait remarquer Eric Arassus, président de la fédération sportive LGBT +, qui indique également la présence de la joueuse de basket-ball Aurore Pautou en ligue 2 féminine de 3x3. Il souligne également que la fédération française de handball a entrepris d’importantes réflexions, sous l’impulsion de sa vice-présidente Béatrice Barbusse. Contactée par CheckNews, elle confirme qu’«une réunion avec notre commission médicale et des règlements pour envisager éventuellement des modifications. Pour le moment, nous examinons les cas un par un. A ce jour, trois cas depuis le début de saison et pas de souci pour les intégrer dans leur championnat amateur respectif».

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