Netflix : indigestion progressiste pour la génération Z ?

REPORTAGE. La plateforme de streaming multiplie les personnages LGBT ou issus de minorités ethniques dans ses séries. Un wokisme qui agace jusqu’aux… minorités.

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Temps de lecture : 5 min

À l'heure où Disney+ officialise l'arrivée d'une minisérie suivant les aventures d'une jeune super-héroïne musulmane, Netflix connaît une baisse d'abonnés imprévue durant le premier trimestre 2022. Si le géant du streaming a déjà organisé une stratégie de reconquête, il subit aussi les attaques du milliardaire Elon Musk, qui a estimé dans un tweet que « le virus woke rend Netflix irregardable ». Quid de la génération Z, cible principale de la plateforme et officiellement connue pour sa « tolérance » et son goût pour le progressisme ? Sur les réseaux sociaux, ils sont de plus en plus nombreux à se montrer assez acerbes face à une inclusivité qui sonnerait faux.

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Nelson, bientôt 17 ans, est un grand amateur de la plateforme Netflix dont il « binge-watche » allègrement le contenu. Le lycéen seine-et-marnais, adepte des séries télé, semble pourtant agacé lorsqu'il parle des nouveautés de la plateforme. « Maintenant, je regarde les animés et les séries qui datent, sinon j'ai l'impression d'être sur Instagram ou Twitter », raconte l'adolescent. La référence aux réseaux sociaux, Nelson l'explique par une « overdose » de dénonciations et d'engagements qui l'empêcherait de parvenir à ce qu'il souhaite : s'évader le temps de quelques épisodes.

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Omar Sy dans le rôle-titre d'Arsène Lupin, sur Netflix.
 ©  Emmanuel Guimier/Netflix/The Hollywood Archive / Hollywood Archi / MAXPPP / PHOTOSHOT/MAXPPP
Omar Sy dans le rôle-titre d'Arsène Lupin, sur Netflix. © Emmanuel Guimier/Netflix/The Hollywood Archive / Hollywood Archi / MAXPPP / PHOTOSHOT/MAXPPP
« Je suis noir, je le sais et j'ai déjà vécu du racisme. Mais quand je regarde des séries, j'ai l'impression que c'est partout, tout le temps, et ça m'énerve de me sentir comme une victime alors que je veux juste chiller après les cours. » Guère adepte des séries que ses parents franco-congolais qualifient de « communautaires », Nelson cite une série comme Arsène Lupin, dont la saison 2 l'a déçu : « Il y avait presque à chaque épisode du racisme des Blancs sur les Noirs. Ça m'énervait en tant que Noir, pas parce que c'est injuste, mais parce que ce n'est pas ça, ma vie », s'agace l'adolescent.

Dans la série Drôle, Aïssatou et sa sœur sont arrêtées par des policiers blancs et racistes en sortant d'une boutique de luxe avec leurs achats. À cette évocation, Nelson nous présente une vidéo TikTok qui aurait « buzzé » et illustrerait ses propos : visionnée plus de 240 000 fois, la vidéo intitulée « l'inclusivité un peu trop abusée dans les séries » montre un homme et une femme en train de tenter de désamorcer une bombe.

Est-ce que c’est vraiment utile à l’histoire, toutes ces informations ?

« Cette bombe me fait penser à quel point ma copine est une bombe, comme n'importe quelle femme de n'importe quelle corpulence », argue l'espionne, sous les yeux perplexes de son partenaire. « Ouais, je suis lesbienne ! Et ma copine est noire ! Fais très attention à ce boulon pour accéder au détonateur », ajoute-t-elle, décidant de genrer la bombe par le pronom « iel » sous les soupirs du garçon. « Est-ce que c'est vraiment utile à l'histoire, toutes ces informations ? » demande-t-il. Bronel, jeune réalisateur, déchaîne les commentaires par ce TikTok. Ils sont près d'un millier de jeunes utilisateurs à lui donner raison, comme l'attestent les commentaires « les séries Netflix be like » ou encore « résumé des séries Netflix depuis 2018 ».

Cocher les cases de l'inclusion

Eliot a 17 ans et insiste sur le fait qu'il est lui-même homosexuel. Souhaitant intégrer un conservatoire d'arrondissement afin de devenir acteur, le lycéen aime débattre avec les membres de sa troupe de théâtre amateur des séries qu'ils visionnent. « J'aime bien les contenus LGBT sur Netflix, mais ce qui me gêne, c'est quand l'info sur la sexualité tombe comme un cheveu sur la soupe. On a l'impression que c'est faux et qu'on sert juste à cocher des cases : Ça y est, on a notre perso gay  », ironise Eliot. L'adolescent nous donne comme exemple le personnage de Robin dans Stranger Things, dont le coming out lui paraît « inutile pour l'intrigue » : « Ils ont leur lesbienne, ils peuvent dire que leur série est inclusive, même si ça n'a aucun intérêt, et ils peuvent mettre le drapeau LGBT pour leur promo », ricane Eliot.

Des propos que corrobore Anna, 18 ans, étudiante en histoire. Féministe engagée, Anna se montre aussi acerbe qu'Eliot pour nous parler du contenu des séries Netflix récentes : « Les séries Netflix en ce moment se concentrent beaucoup sur la représentation de toutes les catégories : gay, polyamoureux, bi, cisgenre, etc. au point que ça devient les traits principaux des personnalités des personnages », explique l'étudiante. Pour elle, si l'inclusivité est importante, les séries finissent par s'éloigner d'une réalité.

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« Dans Ginny and Georgia, par exemple, les personnages sont soit noirs, asiatiques, sourds, lesbiennes, et on oublie leur personnalité, car leurs caractères tournent uniquement autour de leur appartenance à une communauté. Un couple de personnages se dispute même sur le nombre de minorités auxquelles ils sont chacun reliés et qui est le plus oppressé », déplore Anna. D'ailleurs, l'étudiante souligne que le féminisme des personnages dans les séries Netflix ne se concentre pas sur la lutte pour l'égalité des droits entre hommes et femmes, mais plutôt sur le fait que les personnages se définissent comme féministes : « Les séries favorisent la catégorie ou l'identité féministe plutôt que la lutte en elle-même dans les actions des personnages », conclut Anna.

Les analyses d'Anna, Eliot et Nelson font écho au travail de Darnell Moore. Chargé d'inclusion, l'activiste intersectionnel, antiraciste et queer occupe en effet au sein de l'entreprise Netflix le poste de vice-président de la stratégie d'inclusion de la plateforme. Virginie Martin, politologue et autrice du livre Le Charme discret des séries (éditions Humensciences, 2021), aborde dans plusieurs chapitres les questions d'inclusivité dans les séries télé. Elle réagit aux propos des jeunes utilisateurs : « Il faudrait toujours que le personnage gay soit gay pour quelque chose, pourtant lorsqu'ils sont des hétéros classiques, ça n'apporte rien non plus à l'intrigue. »

C’est du marketing, tout le monde doit se reconnaître.

Pour Virginie Martin, la volonté des séries de donner le change à toutes les catégories de personnes fait partie du diversity washing : s'attaquer aux oppressions systémiques en mettant en scène des personnages issus de la diversité. « Je ne suis pas naïve, c'est du marketing, tout le monde doit se reconnaître. Dans notre société, chacun est devenu l'agency de lui-même, on travaille à notre reconnaissance et on souhaite exprimer notre identité. Autrement dit, chacun à son importance et les scénaristes portent la bonne parole. Vous avez des séries qui sont universalistes, mais à l'intérieur chacun va pouvoir se reconnaître. »

À l'instar des débats exigeant que des personnages transgenres soient joués uniquement par des acteurs eux-mêmes transgenres, ne peut-on finalement plus parvenir à apprécier une série sans s'identifier à l'un des personnages ?

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Commentaires (37)

  • delneuF05

    Je vais vous donner ma recette pour vivre en paix : pas de smartphone, pas de réseaux "asociaux" pas de netflix.
    Lecture, musique, balades dans la nature, chant des oiseaux : le bonheur.
    Je sais c'est ringard, mais j'assume.

  • Ferula

    Il n'y a pas que Netflix, il me semble, mais toute la production audiovisuelle ! Je me demande si, au bout du compte, la lassitude n'aboutira pas au désintérêt total.

  • etnareb

    c'est Poutine ? On comprend un peu mieux, à force de donner des leçons de morale, on arrive à exécrer, abhorrer, détester ce monde là si convenablement progressiste...