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Marche des fiertésLaurent Sciamma, l'humour pour détricoter les stéréotypes de genre

Par Youen Tanguy le 25/12/2018
laurent sciamma

[PREMIUMLaurent Sciamma est un jeune humoriste de talent. C'est aussi un homme engagé dans la lutte contre les discriminations et les stéréotypes de genre, sujet dont il parle avec intelligence dans son dernier stand up "Bonhomme". Nous l'avons rencontré. Et nous n'avons pas été déçus.

Il a beau être hétéro, on n'arrive pas à lui en vouloir. A 33 ans, Laurent Sciamma est une des étoiles montantes du stand-up français. C'est aussi un féministe convaincu et un allié de la cause LGBT+.

C'est dans un petit café du XXe arrondissement de Paris que l'humoriste a donné rendez-vous à TÊTU. A notre arrivée, il est installé sur une des banquettes en cuir rouge de l'établissement, café à la main. Le look est décontracté - jean clair et baskets -, l'allure nonchalante, la voix chaleureuse. Le courant passe tout de suite.

"J'ai l'impression que les mecs qu'on voit dans les comédies françaises, notamment hétérosexuels, interprètent toujours des personnages un peu beaufs, bourrins et rentre-dedans", attaque-t-il d'emblée. Je ne me sens pas du tout représenté par ces gars là".

Dans son spectacle, "Bonhomme", le trentenaire originaire de Cergy (Val-d'Oise) s'emploie, avec beaucoup d'humour et d'intelligence, à détruire les idées reçues autour de la virilité. De la masculinité toxique, au mouvement #Metoo en passant par les clichés de genre : tout y passe.

 

Les 'Polly Pockets' et la masculinité

Autant de sujets qui lui valent d'être de temps en temps questionné sur son orientation sexuelle. "Je ne voudrais pas qu’il y ait d’ambiguïté... (on se décompose un peu). Pas parce que ça me ferait chier évidemment !, se rattrape-t-il immédiatement dans un petit sourire. Mais parce que je veux que l'on comprenne qu'on peut être sensible, féministe, se déhancher comme un malade sur Beyoncé et... hétéro ! Et oui." Ouf.

Des préjugés bien souvent hérités de l'éducation. Dans un de ses sketchs, Laurent Sciamma raconte sa passion, plus jeune, pour les 'Polly Pockets'. Et comment sa mère a décidé, dans la foulée, de l'inscrire au judo, comme pour tenter de le ramener vers quelque chose de jugé plus masculin.

"Cette question, ‘est-ce que tu ‘es gay ?', me permet de parler de l’hétérosexualité et de cette idée que les hommes devraient forcément être agressifs, virils, en contrôle et faire de la tyrolienne (rires)." Avant d'ajouter :

 "C’est une vision archétypale de la masculinité qui continue de représenter un modèle - le patriarcat - qui participe à un système d’oppression."

Responsabilité des artistes

Laurent Sciamma, l'humour pour détricoter les stéréotypes de genre

Une chose est sûre, l'humoriste a bien conscience de sa responsabilité en tant qu'artiste et de l'importance de parler avec finesse de ces sujets. "Les clichés que l'on peut avoir sur les homosexuels, et qui peuvent être relayés dans les spectacles, contribuent à alimenter l’homophobie en France", regrette-t-il, évoquant la recrudescence des agressions LGBTphobes dans le pays.

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"A mon niveau, sans me mettre la pression (rires), j’essaye de donner à voir un personnage différent pour faire bouger les lignes." Et si Laurent Sciamma est si 'conscientisée', comme il le dit lui-même, c'est en partie grâce à sa soeur aînée.

Le coming-out de sa soeur, élément déclencheur

Vous l'aviez peut-être deviné grâce au nom de famille : Laurent est aussi le frère de la réalisatrice, ouvertement lesbienne, Céline Sciamma ("La Naissance des pieuvres", "Tomboy", "Bande De Filles", "Ma Vie De Courgette"). Et elle est une véritable source d'inspiration pour lui.

"C'est elle la première à m'avoir sensibilisé aux questions féministes, aux questions de genre, aux inégalités...", glisse-t-il. Et c'est d'ailleurs le coming-out de sa soeur, quand il a 11 ans et elle 20, qui déclenche tout ça.

"Elle a fait son coming-out parce que la Gay Pride tombait le même jour que l'anniversaire de notre oncle, se remémore l'humoriste avec nostalgie. Du coup elle, nous explique qu'elle n'est pas sûre d'être là pour la cérémonie et mon père ne comprend pas trop. Il lui dit, 'c'est pas grave, c'est pas une priorité non ?'. C'est là qu'elle nous a dit qu'elle était lesbienne."

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Le jour du mariage arrivé, lui, son autre soeur et ses cousins filent à la Pride entre la cérémonie du midi et le repas du soir pour rejoindre Céline. "J'ai pris une claque de l'activisme, des combats, des inégalités..., raconte-t-il avec émotion. Ma soeur était sur un char, c'était trop beau. Un acte familial d'amour."

Quelques restes de masculinité toxique ?

La famille est un sujet qui revient à plusieurs reprises dans son spectacle. Sa grand-mère, notamment, dont il parle à travers l'histoire de sa (difficile) rupture amoureuse. Le topo : il y a quelques années, son ex le quitte pour un autre homme. A ce moment-là, il explique avoir eu une "réaction supra masculine", dont il est le premier surpris : "J'ai eu envie de retrouver le mec et de le taper." 

Il évoque cette séparation quelques temps après avec sa grand-mère. Et c'est là qu'il a le déclic. Elle, n'aurait jamais pu quitter son époux pour un autre homme. "C'était une autre époque", glisse-t-il.

"On vit dans une nouvelle génération, ajoute-t-il. Alors, une fois que j’avais dépassé la tristesse et la claque que ça représente de sortir de 10 ans de relation et devoir se réinventer, je me suis réjouis que mon ex ait pu le faire. Je me suis presque senti coupable de lui en avoir voulu." Laurent Sciamma a décidément tout compris.

Laurent Sciamma, "Bonhomme".
Comédie des Trois Bornes (XIe, Paris), jusqu'au 26 janvier 2019.

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