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«Il faut rappeler que la transidentité n’est pas une pathologie»

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Pour «Libération», le psychologue Tom Reucher décrypte la décision de l'OMS de ne plus considérer la transidentité comme un «trouble mental». Une révision souhaitée de longue date par les activistes trans.
Des activistes lors d'un rassemblement de soutien aux personnes trans sur les marches de l'hôtel de ville de New York, le 24 octobre 2018. (Drew Angerer/Drew Angerer. AFP)
publié le 29 mai 2019 à 12h49

Le combat des activistes trans a été long – au moins une décennie – mais il a payé. Lundi, l'assemblée de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a en effet adopté une nouvelle version de la Classification internationale des maladies, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2022 et dans laquelle la transidentité n'est plus considérée comme une pathologie mentale. Cette dépsychiatrisation, souhaitée par les associations, s'est notamment traduite par la disparition de la notion de «trouble mental» pour qualifier le vécu des personnes transgenres, l'organisation onusienne préférant parler à leur égard d'«incongruence de genre», soit l'inadéquation entre le genre ressenti d'une personne et le sexe assigné à la naissance, dans un nouveau chapitre consacré à la santé sexuelle. En revanche, l'intersexuation est désormais qualifiée de «trouble du développement sexuel», à rebours de ce que les associations de personnes intersexes exigeaient pour mettre fin aux interventions chirurgicales et traitements hormonaux non consentis dans l'enfance. Décryptage de cette avancée symbolique mais incomplète par le psychologue clinicien trans Tom Reucher.

Pourquoi la décision de l’OMS de sortir la transidentité des pathologies mentales est-elle importante ?

Cette décision était très attendue par les personnes concernées, d'autant que c'est une décision mondiale. Elle va permettre de lutter contre la stigmatisation des personnes transidentitaires. Je pense cependant qu'il faut que les transidentités restent mentionnées dans le manuel, pas en tant que pathologie mais au même titre que la contraception, l'IVG, la PMA, pour améliorer la prise en charge médicale des personnes trans : c'est une question d'équité dans l'accès aux soins car les personnes transidentitaires sont souvent précaires. La dépsychiatrisation de la transidentité permet cependant de se débarrasser de la tutelle des psychiatres dans les parcours de transition. Cela ne veut pas dire que tous les problèmes rencontrés par les trans seront réglés, y compris en France, mais cela va permettre de mettre fin à l'internement des personnes trans et stopper les plaintes de parents contre les médecins qui acceptent de prescrire des traitements hormonaux à leurs enfants trans majeurs. C'était le verrou qu'il fallait faire sauter, comme lorsque l'OMS a dépsychiatrisé l'homosexualité en 1990. Désormais, les activistes vont pouvoir se concentrer sur les droits humains des personnes transidentitaires.

L’institution onusienne semble en retard sur la société…

La transidentité n'avait jamais été dépsychiatrisée. On oublie qu'en France, c'est seulement le protocole de soins qui est dépsychiatrisé depuis 2010 même si cela a permis une amélioration dans la prise en charge médicale des personnes trans. Là, la décision est prise à un échelon plus important, néanmoins l'OMS a beaucoup tardé pour revoir sa classification. Il fallait un consensus des 194 pays pour revoir le référencement des maladies avec les mêmes définitions. On peut se douter que c'était compliqué à obtenir. Le terme d'«incongruence de genre» en revanche est assez nul car cela risque de devenir un terme aussi péjoratif et pathologisant que celui de «dysphorie de genre». Il faut rappeler que la transidentité n'est pas une pathologie, il ne faut pas chercher midi à quatorze heures ! L'OMS devrait également parler de condition intersexe et pas de «désordre» ou «trouble du développement sexuel» car tant qu'il n'y a pas de risques pour la santé, il n'y a aucune raison pour intervenir sur les organes génitaux de ces personnes. C'est un problème social, pas un problème médical.

Quelles sont les conséquences directes de cette déclassification pour les personnes transidentitaires ?

Avec cette révision de la classification, les personnes trans n'auront plus besoin d'obtenir des psychiatres des certificats, derrière lesquels tout le monde se cache, pour entamer leur transition. Mieux, cela légitime l'autodiagnostic et l'autodétermination des personnes transidentitaires. Cependant, il y aura beaucoup à faire, notamment pour former les médecins à une meilleure prise en charge des transidentités. En France, il faudrait également faire sauter un second verrou, en donnant un tarif aux opérations chirurgicales de réassignation afin que les soins ne soient plus bloqués entraînant de fait un monopole de la SoFect [la Société française d'études et de prise en charge de la transidentité, fondée en 2010 pour structurer la prise en charge hexagonale des personnes trans, ndlr] dans le domaine de la chirurgie de reconstruction génitale. En effet, l'absence de tarif pour ces chirurgies à la sécurité sociale les confine à l'hôpital public, provocant des files d'attente de plusieurs années.

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