Fin 2016, j’ai demandé un entretien avec ma DRH. J’étais nerveuse. J’avais décidé de lui annoncer que j’étais transgenre, et que je souhaitais faire ma transition au travail.
A ce moment-là, j’avais déjà commencé ma transition sociale. Je me présentais en tant que femme au quotidien quand j’allais faire mes courses ou voir un film au cinéma. Les jours où je travaillais de chez moi, j’étais libre d’exprimer ma féminité, en portant du maquillage, des jupes, etc. Je ne sais pas si les gens s’apercevaient que j’étais transgenre mais on me traitait presque toujours avec respect.
Cependant, à chaque fois que j’allais au bureau, j’étais obligée de reprendre mon rôle d’homme. Naturellement, c’était très pénible pour moi. J’ai fini par en avoir assez de passer sans cesse de l’un à l’autre, et c’est alors que je me suis décidée à tâter le terrain en demandant cet entretien.
Annoncer à quelqu’un que l’on est transgenre est à la fois stressant et surréaliste. Il y a toujours un blanc juste après que l’on ait prononcé les mots fatidiques. On voit presque les rouages se mettre à tourner dans la tête des gens pendant qu’ils s’efforcent de digérer la nouvelle. Parfois, ce blanc dure à peine une seconde, mais pour la personne qui vient de faire son coming-out, cela paraît une éternité.
Il y a toujours un blanc juste après que l’on ait prononcé les mots “je suis transgenre”. On voit presque les rouages se mettre à tourner dans la tête des gens pendant qu’ils digèrent la nouvelle.
Le problème, c’est qu’on ne sait jamais comment la personne à qui on l’annonce va réagir. En tant que trans, on s’accoutume vite aux réactions négatives. Parfois c’est un simple regard de travers ou un commentaire marmonné derrière notre dos, mais cela peut aussi virer à la confrontation. J’ai eu la chance de ne jamais être agressée physiquement, mais au fil des années, j’ai eu mon lot de remarques négatives du style – “Est-ce que c’est un mec?” et de regards désagréablement insistants. Cependant, à mesure que ma confiance en moi-même grandissait, ces incidents sont passés à la trappe. Cela arrive encore de temps à autres, mais je suis tellement mieux dans ma peau aujourd’hui que je n’accorde guère d’importance à l’opinion des gens. Ce qui compte, c’est que je sache qui je suis et m’aime telle que je suis. Je suppose que ma taille – je mesure 1,68 m – est un avantage, car cela m’évite de me faire remarquer. En règle générale, je m’habille aussi dans un style assez classique, comme beaucoup de femmes de mon âge. Je privilégie la sobriété vestimentaire plutôt que la fantaisie.
Pour en revenir à Ann Marie, ma DRH, il s’est avéré que je m’étais inquiétée pour rien. Bien sûr, elle a été surprise – après tout, quand elle m’avait engagée, j’avais une barbe et l’air plutôt viril – mais elle m’a immédiatement soutenue. Elle a reconnu que c’était la première fois en 20 ans de carrière qu’elle se trouvait confrontée à cette situation mais, surtout, elle s’est levée, m’a serrée dans ses bras et m’a dit qu’elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour m’aider.
Après ce premier entretien, nous nous sommes vues chaque semaine pour préparer ma transition au travail: lesquels de mes collègues fallait-il prévenir? Quand et comment devrais-je le leur annoncer? Par email? Face à face? Il nous fallait aussi régler des détails logistiques importants, comme changer mon adresse email, mon badge d’accès au bâtiment, etc. Tout ceci devait être mis en place en prévision du jour où je reviendrais au travail en tant qu’Aoife. Nous avons convenu que je le ferais en janvier, après les vacances de Noël. Cela tombait sous le sens: nouvelle année, nouvelle identité.
Nous avons finalement décidé de n’en parler qu’à ceux qui devaient impérativement être mis au courant. J’ai choisi quelques collègues dont j’étais proche, les membres de mon équipe et mon chef. Je n’ai pas fait de grand discours solennel devant tout le monde. Les cancans de bureau se chargeraient de répandre la nouvelle à mon retour.
C’est ainsi que, le 5 janvier 2017, je suis retournée au bureau en tant qu’Aoife.
Bien entendu, j’étais extrêmement nerveuse. Je n’ai aucun problème à me présenter à des étrangers sous mon identité d’Aoife, parce qu’ils ne m’ont jamais connue autrement. Mais quand il s’agit de gens que je fréquentais avant ma transition, c’est une autre histoire. La nuit précédente, j’ai eu du mal à dormir, mais j’ai quand même réussi à me reposer quelques heures avant que mon réveil ne sonne à 4h30 du matin. Je me suis douchée, maquillée avec soin et habillée. Il me semble que j’ai mis une jupe grise, des collants opaques noirs, un haut et un gilet noirs, bref, une tenue de bureau classique. J’ai quitté mon appartement à 6h pour me rendre au travail.
J’ai du mal à trouver les mots pour exprimer combien cette première journée a été angoissante. Je travaille dans un grand espace décloisonné, alors quand vous allez à la machine à café ou aux toilettes, vous avez l’impression que tout le monde a les yeux braqués sur vous. Mais bien sûr, ce n’est pas vrai. La plupart des gens sont trop absorbés par leur propre travail pour vous prêter la moindre attention. Il m’a fallu quelques semaines pour chasser ce sentiment et me sentir plus à l’aise au bureau. Au début, ça fait bizarre de se dire que vos collègues savent que vous êtes trans, mais je m’y suis faite rapidement. Pour mon premier jour, je suis arrivée tôt et je me suis planquée derrière mon ordinateur. Certaines personnes qui étaient au courant de la situation sont venues me souhaiter bon courage et j’ai espéré que le reste de ma journée allait se dérouler sans incident.
Je suis sortie déjeuner avec des collègues. A mon retour, un bouquet de fleurs m’attendait à mon poste de travail. Avec, il y avait une petite carte qui disait: “bon retour parmi nous. Ici, chez Mastercard, nous acceptons les gens comme ils sont.” J’ai découvert qu’Ann Marie s’était arrangée pour que les fleurs me soient livrées le jour de mon retour. J’ai été profondément touchée par ce geste si attentionné, et à partir de cet instant j’ai su que ma transidentité n’allait poser aucun problème. A mon travail, nous avons une politique d’ouverture et d’inclusion, et cela fonctionne grâce à tous les employés de l’entreprise.
Les employés LGBTQ+ devraient pouvoir se sentir à l’aise et en sécurité sur leur lieu de travail. C’est parfois leur seul refuge.
C’est vraiment très important, parce que les employés LGBTQ+ devraient toujours pouvoir se sentir à l’aise et en sécurité sur leur lieu de travail. C’est parfois leur seul refuge. Il ne faut jamais partir du principe que si quelqu’un est heureux, accepté et libre d’exprimer son orientation sexuelle ou son identité de genre au travail, il bénéficie forcément du même respect en-dehors.
Je suis consciente de la chance que j’ai de travailler pour une entreprise où je peux être moi-même, fidèle à mon identité profonde. Pour mes collègues, je suis tout simplement Aoife. Ils me disent “Salut Aoife” pour me dire bonjour, et ça devrait se passer comme ça partout, mais tout le monde n’est pas aussi bien loti que moi. Je suis certaine que de nombreuses personnes trans en Irlande et ailleurs travaillent pour des entreprises qui ne les acceptent pas comme elles sont; où elles courent le risque d’être ostracisées, victimes de discriminations, voire licenciées si jamais elles osent révéler leur transidentité. Beaucoup de petites entreprises n’ont sans doute même pas de département des Ressources Humaines ni aucune politique officielle relative aux personnes transgenres. Nous passons pourtant plus d’un tiers de nos journées au travail: ne devrions-nous pas avoir le droit d’y être nous-mêmes? Chaque employé ne devrait-il pas se sentir en sécurité sur son lieu de travail?
Même si certaines entreprises se montrent ouvertes et tolérantes envers leurs employés transgenres, nous devons garder à l’esprit que pour beaucoup de personnes trans, le monde est encore hostile et plein d’obstacles à franchir – leurs droits sont remis en question par l’administration Trump et la récente tentative du gouvernement britannique d’amender le Gender Recognition Act (un texte législatif de 2004 autorisant notamment le changement d’état-civil pour les personnes transgenres, Ndt) a été accueillie par un déluge de commentaires au vitriol.
Nous devons rester vigilants. La chose la plus courageuse qu’une personne transgenre puisse faire, c’est de franchir le pas et d’affirmer sa vérité à la face du monde. Etre visiblement trans expose à de potentielles agressions verbales et physiques, et il est essentiel pour nous de disposer de refuges, comme par exemple notre lieu de travail, où nous passons une grande partie de notre temps. Avoir des employés aux profils et aux vécus très divers est également bénéfique pour les employeurs.
Cela dit, faire ma transition au travail m’a donné une voix là où je n’en avais jamais eu avant. Je ne suis que trop heureuse de partager cette expérience avec d’autres. Il est très important que les problématiques qui affectent les personnes transgenres soient mises en avant. La seule façon de parvenir à “normaliser” la transidentité, c’est que les gens comme moi parlent haut et fort de ce qu’ils vivent. Personne n’a jamais obtenu la reconnaissance de ses droits en restant silencieux.
En étant davantage visibles, nous pourrons sensibiliser les gens aux problèmes des personnes trans et ils se rendront compte que nous sommes comme tout le monde: nous voulons simplement vivre nos vies en étant traités avec équité et sans discrimination.
Nous montrerons aussi aux nouvelles générations de personnes trans et non-binaires que oui, d’autres personnes comme elles clament fièrement leur identité. Elles ne sont pas seules. Elles ne sont pas les seules. Cela leur donnera peut-être le courage nécessaire pour s’affirmer et être enfin elles-mêmes. J’attends avec impatience le jour où les personnes transgenres seront libres de se montrer telles qu’elles sont sans avoir à s’expliquer ni à se justifier, et seront considérées comme des membres à part entière de la société. Nous sommes tous des ingrédients de ce mélange riche et varié qu’est l’humanité. Nous devrions célébrer nos différences. Si nous étions tous pareils, la vie serait bien monotone.
Ce blog, publié sur le HuffPost britannique, a été traduit par Iris Le Guinio pour Fast ForWord.
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