TRANSGENRE - Je suis infirmière dans une unité de soins intensifs à Austin. Je travaille avec la meilleure équipe de chirurgie de confirmation de genre au monde, dans un petit hôpital au beau milieu du Texas. En soirée, j’ai l’habitude de dire aux étrangers que “je contribue à fabriquer des bites et des vagins”, devant mon père qui s’embarrasse d’un rien. Je trouve ça drôle, mais je devrais plutôt dire que “j’aide les gens à se sentir entiers”, parce que c’est vraiment ce qui définit le mieux mon travail.
Lorsque, encore à moitié endormis, mes patients ouvrent les yeux pour la première fois après une opération, la première chose que je leur dis, c’est: “Félicitations! Vous voulez voir?”. Puis je tire lentement les draps pour dévoiler leurs nouveaux attributs. Ils fondent en larmes, je les accompagne, et nous fêtons ça avec de la morphine, parce que la chirurgie de confirmation de genre, ça fait mal. Quand ils reposent la tête sur l’oreiller, je pose ma main sur la leur avant de m’éloigner en pensant “Bonne nuit, petit lapin”.
Quand on me demande pourquoi je suis devenue infirmière, je réponds que ”ça s’est fait comme ça”. J’ai pu étudier à l’université grâce à une bourse. À cette époque, j’espérais devenir artiste, écrivaine ou archéologue, mais mes parents ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils voulaient que j’aie un emploi stable, avec un vrai salaire. Ils m’ont passé ma tante au téléphone. Elle était infirmière. Elle m’a parlé de la sécurité de l’emploi, de ses trois jours de travail par semaine et du pyjama qu’elle portait à longueur de journée. J’aimais la science, la biologie et les pyjamas, alors je me suis dit: “pourquoi pas?”.
Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai eu la chance d’être embauchée dans une unité de soins intensifs cardiovasculaires, dans laquelle nous nous occupions des patients après une opération à cœur ouvert. Un véritable baptême de feu. Les deux premières années, je pleurais et je buvais chaque fois que je rentrais chez moi après une garde. Les codes bleus fusaient de tous les côtés, je devais crier “On dégage” presque à chaque garde (eh oui, on fait ça dans la vraie vie) et j’ai donné des litres et des litres de sang. C’était difficile, mais c’était aussi incroyablement stimulant et exaltant, alors je me suis accrochée. J’étais tellement passionnée, que je me suis fait tatouer un cœur, un vrai, sur le bras.
Après quinze ans de carrière en unité de soins intensifs cardiovasculaires, j’ai déménagé à Austin, et j’ai trouvé du travail dans ce petit hôpital. Il y a trois ans, j’ai appris qu’une équipe de chirurgie de confirmation de sexe allait s’y installer. Ils voulaient opérer dans un lieu à taille humaine, avec une culture ouverte, car les personnes transgenres sont souvent victimes de discrimination. Même de la part des professionnels de santé, et même si la dysphorie de genre est un trouble officiellement reconnu.
Les membres de l’équipe ont inspecté notre établissement et jugé que nous étions tous des êtres humains plutôt honorables et que nous avions compris que la transidentité était une chose bien réelle. Ma responsable m’a convoquée dans son bureau pour me l’annoncer et m’a lancé avec un grand sourire: “Ils vont devoir trouver quelqu’un aux soins intensifs”.
Sur la question de mon identité
Elle me connaît bien.
Je suis non-binaire. Je ne suis pas née dans le bon corps, ou plus probablement, pas avec les bonnes hormones, et je me suis retrouvée avec un vagin là où j’aurais dû avoir un pénis. J’ai grandi dans les années 70; on ne parlait pas de ce genre de choses. Je pensais que j’étais un monstre, que je ferais mieux de mettre fin à mes jours – les histoires habituelles.
Je me sentais piégée dans un corps que je ne reconnaissais pas, et ce sentiment n’a fait que s’aggraver à la puberté. J’étais impuissante, je n’avais nulle part où m’échapper, sauf peut-être dans mes rêves, dans lesquels j’étais le plus gros queutard de l’histoire.
Heureusement, j’ai la chance d’être dotée d’un sens inné de l’optimisme ET de faire des rêves cochons. Alors, au lieu de me suicider, je me suis satisfaite de fantasmes de pipes élaborés et j’ai appris à faire face, ou du moins à ne pas me laisser consumer par le désespoir. J’ai finalement réussi à m’accepter et à m’aimer telle que je suis. Je sais que je pourrais entreprendre une transition de nos jours, mais je me suis habituée à la personne que je suis devenue. J’ai choisi de vivre au milieu, d’avoir de beaux cheveux et de semer la confusion chaque fois que je passe les contrôles de sécurité à l’aéroport.
Je ne cherche pas à dédramatiser la situation. Je suis encore submergée par de grandes vagues de nostalgie pour ce corps que je n’ai jamais eu, pour cette identité dont je suis privée. Ce sentiment ne me quitte jamais, mais j’ai trouvé un endroit où l’apaiser.
Pour de nombreuses personnes, c’est tout bonnement impossible. Elles ne parviennent jamais à supporter le malheur et la honte de vivre dans un corps qui n’est pas le leur. On se sent terriblement seuls quand les gens qui nous entourent ne connaissent qu’une version incomplète ou incorrecte de nous-mêmes. Aujourd’hui, nous avons les moyens technologiques d’offrir aux autres une chance que la plupart considèrent comme allant de soi: le soulagement de pouvoir enfin être soi-même. C’est ce que cette équipe chirurgicale unique a apporté dans ce petit hôpital dont j’ai la chance de faire partie. L
Vous imaginez maintenant à quel point cet heureux hasard a pu être important pour moi ? J’aide les autres et, au passage, je guéris cette partie de moi qui pensait naguère qu’elle devait mourir. Je me sers de mes peines et de ma douleur pour créer un lien avec les patients et leur faire savoir qu’ils sont en sécurité, qu’ils seront bien traités, acceptés. J’ai le privilège d’être la première personne qu’ils voient à leur réveil, et je fais de mon mieux pour que ce soit une fête à chaque fois.
La chirurgie de confirmation de genre, aussi connue sous le nom de chirurgie de réattribution ou de réassignation sexuelle, constitue généralement la dernière étape de la transition d’un individu. C’est une destination qu’on atteint après une très longue route. Alors, entre les antidouleurs, les tentatives pour se traîner hors du lit pour la première fois et les premiers pas dans le couloir pour apprivoiser ce nouveau corps, nous faisons tout ce que nous pouvons pour en profiter. Pendant ce temps, je vérifie sans arrêt que tout va bien avec leur nouveau pénis ou vagin. Je suis une experte en bites maintenant, les gars ! Mais je ne m’en ferai pas tatouer une sur le bras.
La pandémie a changé la donne
Avec la COVID-19, les choses ont bien changé : il y a moins de lits disponibles, le nombre d’opérations que nous pouvons prendre en charge est strictement limité, les patients sur liste d’attente, qui devaient déjà attendre un an, vont devoir patienter encore plus longtemps. J’ai de la peine pour eux.
Pour couronner le tout, s’ils ont suffisamment de chance pour que l’opération soit planifiée et réalisée, aucun membre de la famille n’est autorisé à venir les soutenir. Mettez-vous à leur place juste quelques instants. Imaginez à quel point tout cela doit être effrayant, surtout en cas de complications. Je fais de mon mieux pour faire le lien avec les parents, les femmes et les maris, mais mon planning est déjà bien chargé. En ce moment, j’aurais bien besoin d’une secrétaire pour m’aider à prendre en charge toutes les tâches supplémentaires en matière de communication. Scoop du jour : les infirmières n’ont pas droit à une secrétaire.
Nous faisons tous de notre mieux, mais c’est juste un peu plus important pour moi. Il ne s’agit pas d’une prothèse du genou ou d’une liposuccion ; ces gens font partie de MON « clan ».
Maintenant, dès que je mets un pied au travail, je consulte les rapports médicaux et j’effectue les examens gynécologiques avec les infirmières qui terminent leur garde. Si c’est un pénis, c’est à moi que revient la dure tâche de vérifier la circulation sanguine toutes les heures. J’en profite toujours pour demander aux patients s’ils veulent que je mesure leur nouvel organe (ce à quoi ils répondent toujours avec un grand OUI) et je leur donne un petit nom. J’adore baptiser les bites et je suis douée à ce jeu ; demandez à mes patients dont j’ai baptisé le membre Bilbon Sacquet, Louis Bâton ou, mon préféré, 7/7, juste après l’avoir mesuré. Je suis une vraie pro.
L’intervention est moins lourde pour les vagins, et ils demandent moins d’attention, alors je n’ai pas souvent l’occasion de leur donner des petits noms. Ils ont toutefois tendance à saigner, et quand ça arrive, les patientes doivent mettre des culottes en maille agrémentées d’une serviette hygiénique ; vous ne verrez jamais quelqu’un aussi heureux de porter une protection hygiénique.
La sortie de l’hôpital des patients
J’ai un travail aussi absurde que passionnant, mais il peut également se révéler éprouvant en cas de problèmes. Il n’y a rien de pire que de regarder quelqu’un qui vient de subir la plus lourde et la plus importante opération chirurgicale de sa vie devoir endurer de graves complications. C’est tellement injuste de voir des patients souffrir alors qu’ils ont attendu ce moment pendant toute leur vie, et ça me brise le cœur, encore plus que les codes bleus d’autrefois.
Mais quand tout va bien, comme c’est généralement le cas, la sortie de l’hôpital est le plus beau moment qui soit. Je suis toujours émue de voir mes patients faire leurs premiers pas dans le monde avec leur véritable identité et leurs « pièces » toutes neuves.
Le moment venu, j’aime les aider à s’habiller. Pas parce que j’ai les yeux rivés sur leurs organes génitaux depuis des jours, mais parce qu’ils quittent soudain leur costume de patient pour voler de leurs propres ailes, loin de moi, pour devenir pleinement cette personne qui a eu le courage d’affronter une situation apparemment insurmontable et de prendre des mesures extrêmes pour la résoudre.
Ces gens et leur combat acharné pour se réaliser pleinement me touchent, et je suis toujours curieuse de voir la manière dont ils vont revêtir ce nouveau corps. Les mecs optent systématiquement pour des shorts de sport en nylon brillant. Mais qu’est-ce qu’ils ont avec ces shorts ?
Les femmes, elles, ont plutôt tendance à choisir des tenues élégantes : des robes d’été, de jolies sandales et TOUJOURS de superbes lunettes de soleil – que je leur laisse porter à l’hôpital en faisant comme si de rien n’était – parce qu’elles veulent commencer à parader, et qu’elles l’ont bien mérité. Sans l’ombre d’un doute.
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