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Nageuses transgenres: à la Fina, une ouverture en trompe-l’œil

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La natation compte devenir le premier sport à instaurer une «catégorie ouverte» pour permettre aux athlètes transgenres de concourir séparément. La proposition, entrée en vigueur ce lundi, divise le milieu.
par Romain Métairie
publié le 21 juin 2022 à 6h00

Les bassins de Budapest n’ont peut-être jamais connu autant de remous. C’est pendant les championnats du monde grand bassin en Hongrie que la Fédération internationale de natation (Fina), à l’issue d’un congrès extraordinaire, a décidé dimanche d’adopter une nouvelle politique d’«inclusivité». La natation entend mettre en place une «catégorie ouverte» aux athlètes transgenres, réservée à elles seules. «Je ne veux pas qu’on dise à un athlète qu’il ne peut pas concourir au plus haut niveau. Je vais mettre en place un groupe de travail pour créer une catégorie ouverte lors de nos compétitions. Nous serons la première fédération à le faire», a déclaré Husain Al-Musallam, le patron de la Fina.

La compétition masculine resterait ouverte à tous. En revanche, les athlètes assignées hommes à la naissance ne pourront concourir dans les catégories féminines de la Fina, ou établir des records mondiaux féminins, qu’à la condition qu’elles aient fait leur transition avant la puberté. Le texte précise : avant la puberté, c’est-à-dire «pas au-delà de l’étape 2 de l’échelle de Tanner [qui établit une classification du développement physiologique au cours de la puberté, ndlr], ou avant l’âge de 12 ans, selon la date la plus tardive», est-il annoté dans le document de 34 pages.

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La proposition votée par 71 % des 152 fédérations membres de la Fina, entre en vigueur dès ce lundi. L’instance reconnaît en outre que «certaines personnes peuvent ne pas être en mesure de concourir dans la catégorie qui correspond le mieux à leur alignement de genre légal ou à leur identité de genre. Chacun d’entre nous doit toujours, dans les limites des principes d’équité, garantir l’inclusion de tous les individus quelle que soit leur orientation de genre». Autrement dit, la Fina est déterminée à maintenir des compétitions genrées, quitte à ostraciser les femmes transgenres des plus grands rendez-vous internationaux. Y compris les JO depuis qu’en 2021, le Comité international olympique (CIO) a énoncé des lignes directrices sur la question, tout en demandant aux fédérations internationales d’élaborer les règles «spécifiques à leur sport».

Pour répondre à cette demande, la Fina avait alors missionné trois comités – l’un composé d’experts médicaux, l’autre d’avocats et le dernier d’athlètes – sur cette question. Le personnel médical a constaté que les femmes transgenres conservaient certains avantages. Des avantages «structurels» que les hommes acquièrent à la puberté et qui ne disparaissent pas avec la suppression des hormones, affirme ainsi la Dr Sandra Hunter, de l’université Marquette de Milwaukee, parmi les membres de ce panel : «Cela inclut notamment des poumons et des cœurs plus grands, des os plus longs, des pieds et des mains plus grands.»

Le précédent Lia Thomas

Cette décision de la Fina surgit trois mois après une immense controverse outre-Atlantique autour des exploits de l’Américaine Lia Thomas. Cette étudiante est devenue mi-mars la première nageuse transgenre à remporter un titre universitaire. Sa victoire mi-mars en finale du 500 yards (457 mètres) a été éclipsée par les joutes verbales qui ont suivi son exploit, entre les soutiens de la championne et ses détracteurs. Ces derniers estiment que parce qu’elle avait déjà concouru plus jeune dans la catégorie hommes, elle bénéficie d’un avantage physiologique inique.

Des débats que l’on retrouve dans le microcosme depuis dimanche. Il y a celles qui défendent la proposition de la Fina, dont d’illustres représentantes du milieu comme l’Australienne Cate Campbell. «Mon rôle est de dire aujourd’hui aux personnes transgenres que nous voulons qu’elles fassent partie de la grande communauté des nageurs […] mais aussi de dire […] Ecoutez la science», a déclaré dimanche la quadruple championne olympique. L’ancienne nageuse britannique Sharron Davies ne tweete pas autre chose : «Je ne peux pas vous dire à quel point je suis fière de mon sport… pour s’être tourné vers la science, avoir interrogé athlètes et entraîneurs et défendu un sport équitable pour les femmes, s’est-elle réjouie. La natation accueillera toujours tout le monde, peu importe comment vous vous identifiez, mais l’équité est la pierre angulaire du sport.»

Et il y a ceux qui fustigent une décision «injuste». C’est le cas des groupes de défense des intérêts des athlètes LGBTQ. L’un de ces groupes, Athlete Ally, a réagi sur Twitter : «Les nouveaux critères d’éligibilité de la Fina pour les athlètes transgenres et les athlètes présentant des variations intersexuelles sont discriminatoires, nuisibles, non scientifiques et non conformes aux principes du CIO de 2021. Si nous voulons vraiment protéger le sport féminin, nous devons inclure toutes les femmes.»

Un «contrôle néfaste du corps des femmes»

Au Washington Post, l’ancien nageur de Harvard Schuyler Bailar – première personne trans à concourir en tant qu’homme dans la division I de la NCAA (le sport universitaire) – détaille pourquoi cette annonce l’a «dévasté». D’une part, elle «ne préserve pas l’intégrité du sport féminin. Elle renforce le contrôle néfaste du corps des femmes et la dégradation continue et l’altérité des personnes trans qui subissent déjà une discrimination massive dans ce monde». De l’autre, elle exige que «les filles trans fassent leur transition avant 12 ans, mais les Etats-Unis ont vu passer près de 100 projets de loi interdisant aux enfants trans de pratiquer des sports en catégorie jeunes».

Une dizaine d’Etats conservateurs ont en effet déjà adopté des lois visant à interdire aux filles transgenres de concourir avec d’autres filles, alors même que le sujet ne fait pas l’unanimité chez les républicains. Certains de ces Etats ont par ailleurs introduit des lois afin d’interdire les traitements hormonaux aux mineurs.

D’autres personnes s’interrogent par ailleurs sur cette limite d’âge fixée à 12 ans dans le texte, alors que la puberté est une étape de l’adolescence qui varie selon les individus. Malgré tout, la discipline table sur les six prochains mois pour peaufiner cette nouvelle catégorie, sans que l’on en connaisse encore tous les contours. Et sans savoir si les principales intéressées daigneront prendre part aux futures compétitions.

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