Le «Zazemistan» : la web-émission qui s’attaque au racisme et aux inégalités de genre

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Diffusé sur YouTube, ce programme conçu comme un Etat fictif déconstruit sexisme et racisme tout en prônant l’intersectionnalité.
par Katia Dansoko Touré
publié le 15 mai 2021 à 12h44

Bienvenue au Zazemistan, République utopique, féministe, inclusive et postcoloniale en construction. Elle a pour devise «Liberté, minorité, sororité !» et donne son nom à une toute nouvelle web-émission diffusée sur YouTube depuis deux semaines. Quatre épisodes de la première saison – qui en comptera neuf – sont déjà en ligne. Le concept (inspiré en partie des talk-shows américains et, plus précisément, du Patriot Act de l’humoriste Hassan Minhaj) s’avère des plus originaux dans le paysage audiovisuel français.

Le principe de chaque épisode : inviter un activiste pour évoquer des sujets comme le racisme, le genre et les problématiques postcoloniales. Le programme d’une trentaine de minutes est animé par Zazem, féministe co-animatrice du podcast marseillais Yesss ! et créatrice du jeu de cartes Moi, c’est Madame, truffé de bonnes réparties aux remarques sexistes. Zazem est aussi la co-fondatrice du programme de formation journalistique Slice Up, déployé au cours de l’année 2017 en Mauritanie (d’où elle est originaire), au Mali ou au Bénin.

Deux chroniqueurs sont également au rendez-vous : FZ, qui décrypte l’actualité et débusque théories du complot et autres fake news, et le Professeur Tik qui, lui, s’intéresse au rap. Sans fioritures, le programme plutôt ludique jouit d’une certaine fraîcheur et surfe sur l’humour au gré d’un langage cru et franglais qui devrait parler aux millenials. Son approche : échanger, de façon pédagogique, sur les maux et mots de notre société.

«Incarner le turfu»

A la fin de chaque épisode, l’invité propose une loi à ajouter à la future Constitution du Zazemistan, tout en prêtant serment sur un objet de son choix. C’est seulement après cette cérémonie qu’il est naturalisé «Zazou», citoyen du Zazemistan, Etat dont il respecte les valeurs. Il obtient également un revenu mensuel versé en «clitcoins» (cryptomonnaie fictive baptisée à partir des termes bitcoin et clitoris)… Le tout premier invité, Kevi Donat, animateur du podcast le Tchip et guide du Paris noir, a posé l’ouvrage Peaux noires, masques blancs de Frantz Fanon sur sa poitrine pour prêter serment. Le vogueur et activiste gay Noam Sinseau a, lui, choisi ses high heels. Parmi les prochains à se voir proposer la naturalisation zazou, il y aura le danseur Bolewa Sabourin, le rappeur A2H ou encore l’afro-féministe et autrice Bebe Melkor-Kadior.

Le Zazemistan vogue depuis peu dans l’univers du féminisme digital avec, au gouvernail, Zazem, 34 ans, qui a grandi dans une cellule familiale très politisée. Elsa Miské (son vrai nom) explique : «Mon père et ma mère sont tous les deux réalisateurs de documentaires. Ma mère s’est beaucoup penchée sur la thématique du féminisme quand mon père, également écrivain, a réalisé des films sur l’histoire de l’immigration, la race, les décolonisations, les religions ou sur les questions de bioéthiques.» Mais c’est surtout son grand-père, Ahmed Baba Miské, qui a marqué son militantisme. «Il est une figure importante dans ma vie. J’ai grandi avec lui et ses combats. Il a grandi dans le désert mauritanien, a été chef de tribu dès son adolescence, a été très tôt engagé en politique et a lutté contre la colonisation», détaille Elsa Miské. Après l’indépendance de la Mauritanie, en 1960, son grand-père devient diplomate et le premier ambassadeur du pays à l’ONU. «Il a œuvré au sein du Front Polisario et dans tout le Sahel», précise la jeune femme.

Avec le Zazemistan, Zazem propose «une nouvelle façon de militer» tant sur les questions d’intersectionnalité, d’inégalités de genres, de race, de classe ou même de validisme, c’est-à-dire de discrimination envers les personnes handicapées. «Dans cette émission, on dénonce ce qui ne va pas et on essaie de faire des propositions qui, parfois, sont humoristiques mais peuvent aussi être très sérieuses», explique-t-elle. Elle pense notamment à la transactiviste Claude Emmanuelle qui propose un «parcours de transition libre et gratuit». Et Zazem de reprendre : «Le propos est de témoigner de réalités auxquelles la plupart des gens ne sont pas habitués, par le parcours de nos invités et les sujets d’actualité que nous mettons sur la table. Je m’attache à inviter des personnalités qui, selon moi, incarnent le turfu.»

«Différencier ces combats n’a plus aucun sens»

Des images de sa famille entre la France et la Mauritanie, mais aussi du psychiatre et essayiste Frantz Fanon, de l’ancien président du Burkina Faso Thomas Sankara, des chanteuses Nicki Minaj et Beyoncé ou même de la série culte Sex and the City composent le générique. Des personnages qui ont appris à Zazem à être une femme qui s’affirme : «Je veux aussi réconcilier les thématiques postcoloniales, du féminisme et de la question LGBT +. C’est dans ce sens que l’émission est intersectionnelle. Différencier ces combats n’a plus aucun sens. On ne peut plus les compartimenter parce qu’ensemble, ils sonnent comme une évidence vis-à-vis du monde dans lequel on vit, des gens que l’on rencontre.»

Et Zazem de conclure : «Imaginer un monde fictif aide à avoir un impact sur les préjugés qui ont cours notre société, à réfléchir à des solutions. Je cherche à contribuer aux débats sociaux qui s’imposent aujourd’hui.» De fait, l’utopie à l’œuvre au Zazemistan, – «Etat intime et radical» qui se déploie également sur TikTok, Clubhouse ou Instagram – contribue, avec brio, à nourrir les débats.

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