WEB-SERIELe Projet Pieuvre replie ses tentacules pour de bon

« Projet Pieuvre » : Clap de fin pour l’insta-série qui dépeignait la vie LGBT comme nulle autre

WEB-SERIELe Projet Pieuvre va s'arrêter le 9 août. L'occasion de revenir sur ce qui rend cette web-série LGBT si unique
Lucas, Ferdinand et Isabell
Lucas, Ferdinand et Isabell - Projet Pieuvre / DR
Xavier Héraud

Xavier Héraud

L'essentiel

  • Le Projet Pieuvre a été créé en août 2018 par le comédien et scénariste Arthur Vauthier.
  • Il dépeint la vie de plusieurs personnages LGBT et de leurs proches avec une approche hyper réaliste.
  • La web-série se termine le 9 août après 1440 épisodes de une minute, soit une durée total de pile 24 heures.

C’était un peu l’anti-Queer as folk. L’insta-série Projet Pieuvre s’arrête le 9 août, quatre ans après ses débuts.

Les fans vont donc devoir dire adieu à leurs personnages préférés : Lucas, Ferdi, Nico, Jimmy, Agathe et les autres. Là où la série britannique et ses remakes américains dépeignent la vie gay et LGBT sur le mode du bruit et de la fureur, la Pieuvre a pris le temps de déployer tranquillement ses tentacules, avec des personnages et des situations au plus près de la réalité.

Une fresque du quotidien

Cette web-série d’un genre unique a été créée par le scénariste et comédien Arthur Vauthier, qui s’est lancé dans cette aventure après une autre web-série, les Kidults.

Chaque épisode est un « instant » d’une minute, un moment de vie hyperréaliste, tourné en plan séquence et publié à l’heure où il se déroule, pour immerger le public dans l’intimité des personnages.

« Mis bout à bout, l’ensemble des instants forme une grande fresque du quotidien, explique Arthur Vauthier. Tous les personnages sont interconnectés (amis, amours, colocs, collègues, famille, voisinages, contacts virtuels…) et leurs histoires se déploient de façon tentaculaire, d’où le nom de la série : Pieuvre. »

Une veine naturaliste

Dans ces instants, il ne se passe parfois pas grand-chose… Deux personnages sont devant la télé, tous les deux sur leur téléphone et ne se parlent pas, un personnage boit un café et fume une cigarette à la fenêtre. Tout tient parfois à un coup d’œil, une ébauche de sourire. Et parfois aussi, les personnages s’engueulent, se réconcilient, jouissent… La vie, quoi.

Une veine résolument naturaliste, qui permet de produire une photographie de la communauté LGBT contemporaine. Pas de l’ensemble de la communauté, bien sûr, une communauté plutôt parisienne, plutôt centrée sur les thématiques gays, comme son auteur. « J’avais envie que ce soit des personnages qui me ressemblent, qui ressemblent aux gens que je connais, qu’on puisse jouer sur ce trouble entre fiction et vérité [par exemple, les personnages portent les mêmes prénoms que leurs comédien.ne.s], même si c’est vraiment de la fiction, note le créateur de la Pieuvre. Je souhaitais aussi que cela s’insère au sein du visionnage des publications des spectateurs, qui peuvent scroller sur instagram, et qu’on ait l’impression d’ouvrir des petites fenêtres sur la vie de gens, presque comme si c’était du documentaire. »

Tranches de vie

En quatre ans, on a pu voir pêle-mêle des couples se faire et se défaire, des amis faire la fête ensemble ou se consoler, un jeune gay mis à la porte de chez lui, des personnages user et abuser de produits psychoactifs lors de leurs relations sexuelles (ce qu’on appelle le chemsex), l’homophobie, des associés qui s’engueulent, une mère qui fugue. Autant de tranches de vie auxquelles tout le monde peut sans doute s’identifier à un moment ou un autre.

Louis et Arthur (Vauthier), Instant 641
Louis et Arthur (Vauthier), Instant 641 - Projet Pieuvre

Si la série est centrée autour des personnages LGBT, ils ne sont pas en vase clos non plus. On a pu suivre les instants de personnages hétéros comme Agathe, Corinne, Allison ou Sarah… « J’avais envie de montrer des personnages LGBT insérés dans un monde non-LGBT avec ce que ça peut avoir d’hostile parfois, et parfois pas, indique Arthur Vauthier. Il y a ce personnage gay qui est Ferdinand et quand on voit sa mère, je trouvais intéressant que ça ne soit pas juste de son point de vue à lui, qu’on puisse basculer de son point de vue à elle. Dès qu’on multiplie les points de vue, les choses deviennent moins simplistes et plus intéressantes. »

Un projet 100 % bénévole

Mine de rien, produire une minute de contenu chaque jour demande une sacrée dose d’organisation. « C’est une vraie machinerie, reconnaît Arthur Vauthier. On écrit deux mois avant la diffusion, on tourne un mois avant, on est tout le temps dans l’urgence en fait. Pour un épisode, généralement on met une heure à tourner une scène. 30 heures par mois, de tournage, sans l’écriture et la post-prod. »

Tout est fait bénévolement, le Projet reçoit juste de l’argent via la plateforme Tipee et tout l’argent récolté et réinjecté dans les tournages.

Une situation parfaitement assumée par le créateur du Projet : « L’étape supérieure, ce serait d’avoir une prod. Avoir une prod c’est aussi être dans des compromis. Et ce qui a été agréable pour moi créativement avec ce projet, c’est la grande liberté que j’avais de pouvoir choisir ce dont on allait parler, comment on allait en parler, qui on allait caster. »

Clap de fin après 1440 épisodes

Alors que le Projet touche à sa fin et que les derniers instants ont été tournés, Arthur Vauthier, qui a depuis suivi une formation de scénariste, confie être « soulagé », car « c’était beaucoup d’énergie, de stress au quotidien ». Les tentacules seront figées après l’épisode 1440. Un chiffre qui n’est pas dû au hasard : 1440 minutes, ça fait pile 24 heures.

Jimmy et Manon, Instant 1406
Jimmy et Manon, Instant 1406 - Projet Pieuvre

« A la base je voulais que ça dure pour toujours, se souvient Arthur Vauthier. On voulait aller jusqu’à 1000. Une fois qu’on est arrivés à 1000 on s’est dit "On fait quoi ?". Là c’était difficile de fixer un nouveau cap. Et c’est arrivé comme une révélation : l’idée d’avoir toutes ces journées en une seule journée. »

Se sentir seul, même quand on est entouré

Mettre un point final à cette série lui aura au passage permis de se pencher sur la nature de ce Projet : « Quand j’ai décidé d’arrêter, il a fallu tout faire converger. Réfléchir à ça, c’est assez jouissif. C’est là que tu te dis vraiment : de qui et de quoi ça parle ? Et à quoi servent tous les personnages au service de cette question-là. »

Alors de quoi ça parle finalement le Projet Pieuvre ? « De la solitude », répond Arthur Vauthier. « Est-ce que vous n’avez pas le sentiment que l’un des problèmes, c’est que même entouré, vous vous sentez seul ? », demande d’ailleurs Emmanuel, le psy, à Jimmy dans l’instant 1377, au cœur de l’arc narratif le plus bouleversant de la Pieuvre. Y a-t-il un thème plus universel ?

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